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part du butin qui leur avait été promise en compensation de leurs avances, et « les compagnons de guerre » qui avaient reçu « congé » du gouvernement d’Hydra de « mettre navire sur mer pour faire guerre aux ennemis » étaient aussi sujets que les « mariniers » dont se plaignaient avec amertume les ordonnances de 1543 et de 1557 « à dresser mutinations et querelles à l’encontre de leur capitaine, à lui dire paroles déshonnêtes et malsonnantes, jusques à le vouloir quelquefois outrager, mettant la main aux armes, le contraignant à se soumettre à leur simple vouloir, chose qui, observe fort judicieusement le roi Henry dans son édit daté du château de Saint-Germain-en-Laye, est de très mauvais exemple et de pernicieuse conséquence. » N’a-t-on pas dans ces quelques lignes le tableau frappant des désordres qui viendront interrompre les plus importantes opérations des flottes grecques, et qui finiront par livrer à l’invasion ennemie Caxos, Ipsara et le Péloponèse ? D’un côté l’aveuglement, l’imprévoyance, la lourdeur, de l’autre l’héroïsme et l’indiscipline, voilà le spectacle que vont nous offrir les deux armées navales que l’insurrection grecque a mises en présence.

Le 30 mai 1821, la flotte de Tombazis avait repris la mer. Partie du canal d’Hydra, elle remontait l’Archipel précisément au moment où la flotte ottomane, longeant les côtes de la Troade, faisait route vers l’île de Samos. À l’entrée de la nuit, les éclaireurs grecs reconnurent la flotte du riala-bey. L’attaquer sur-le-champ eût été jeu de dupes. Des bricks de dix à vingt canons ne pouvaient, avec leur calibre inférieur, livrer un combat d’artillerie à des vaisseaux. Leurs boulets, n’auraient pas traversé ces murailles épaisses. Aborder ces « montagnes mouvantes, » — tel était le nom que portait un des navires turcs, — semblait tout au moins aussi impraticable. On ne passe pas aisément du pont d’un brick sur celui d’un vaisseau, et, quand on y aurait réussi, était-il bien prudent d’aller affronter les Turcs sur le seul terrain où l’énergie musculaire et la force brutale pouvaient encore triompher de l’intelligence ? Les Grecs n’eurent pas cette simplicité ; ils montrèrent, dès cette première rencontre, qu’ils n’avaient pas oublié les leçons d’Ulysse. Quand le sort de la patrie est en question, il ne faut prendre que des résolutions sérieuses, et l’héroïsme lui-même n’est pas de saison, s’il peut compromettre un aussi vital intérêt. Les Grecs se contentèrent de suivre et d’observer la flotte ottomane, attendant tout du sort, épiant l’occasion favorable et comptant bien sur la gaucherie de leurs ennemis pour la leur fournir. Le 5 juin en effet, à la hauteur de Chio, un vaisseau turc s’était déjà séparé du gros de la flotte ; il faisait force de voiles pour la rejoindre, quand les Grecs, aux premières lueurs du jour, l’aperçurent. Lui donner la