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Tombazis. 5,000 personnes furent ainsi sauvées ; les Turcs firent main basse sur le reste. Quant à la ville, ils la réduisirent en cendres. Tout ce qui ne fut point égorgé fut vendu comme esclave. Les marchés de Brousse, de Nicomédie, de Smyrne, de Constantinople, regorgèrent pendant plusieurs mois des malheureux survivans du sac d’Aïvali. Parmi les habitans qui avaient réussi à s’échapper, bien peu avaient pu emporter une faible portion de leurs richesses. On vit des gens qui la veille possédaient une maison remplie de serviteurs contraints de servir eux-mêmes pour gagner le pain amer de l’exil. Cet affreux épisode fit oublier à l’Europe les massacres du Péloponèse. Tout l’intérêt passa du côté des insurgés. Quelque horreur que pussent inspirer leurs excès, on se sentit porté à en rendre responsable cette puissance arriérée qui, au XIXe siècle, n’avait pas encore aboli les pratiques barbares d’un autre âge, et souffrait que des populations entières, quand elles n’avaient pas péri sous le sabre, fussent vendues comme la part la plus légitime du butin. De tels maîtres ne donnaient point de prise à la pitié, et cependant, parmi les victimes de l’insurrection, plusieurs, par leur âge, par leur innocence, par leurs vertus domestiques, auraient assurément mérité un meilleur sort. Elles payèrent la faute des institutions les plus coupables qui aient jamais gouverné des hommes.

IV.

Le 22 juin 1821, après cette démonstration inutile et funeste, la flotte grecque était de nouveau retournée au port. La campagne en somme avait été peu fructueuse ; mais à la même époque une autre division chassait du mouillage de Patras cinq bâtimens turcs, les obligeait à se réfugier sous le canon de Lépante, pénétrait de nuit dans le golfe de Corinthe, en sortait en plein jour, et franchissait ainsi deux fois l’étroit passage des petites Dardanelles, sans se laisser arrêter par l’aspect formidable des batteries du château de Roumélie et du château de Morée. Cette expédition avait été vivement menée, et n’avait pas peu contribué à décider l’évacuation de Missolonghi par les Turcs. C’était la renommée naissante de Miaulis qui se levait à l’horizon. La flotte grecque devait avoir dans cet habile et entreprenant amiral son Tourville, comme elle aurait dans l’intrépide Canaris son Jean-Bart.

Les opérations des flottes grecques se trouvaient limitées par deux circonstances fâcheuses : l’exiguïté des ressources financières et l’insubordination impatiente des équipages, qui, n’ayant