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touchant et vrai dans cette idée de la purification par l’amour et la souffrance, mais le sujet n’est pas traité, la pensée première s’éparpille, et d’inutiles épisodes où s’amuse l’imagination du poète prennent la place qu’eût exigée le développement de la passion. A quoi bon ces dissertations sur Corneille ? L’auteur veut faire montre d’érudition littéraire, il veut persuader au public ; que son œuvre est une peinture exacte de la réalité, qu’on est bien là en plein Louis XIII, qu’on assiste aux conversations de l’année 1638, et pour avoir le plaisir de citer tous les poètes contemporains de l’auteur du Cid, il oublie la peinture de la vérité qui appartient à tous les temps. Cette scène, comme celle des comédiens à l’acte suivant, est d’une froideur insupportable. Le poète croit-il du moins nous faire illusion sur la valeur de cette érudition inopportune ? il faudrait beaucoup de bonne volonté pour s’y laisser prendre. Si l’on y regarde de près, c’en est fait des prétentions du savant. Jamais on n’a pu dire en 1638 :

Mais, pasque dieu ! c’est de la bergerie
Que ces amitiés-là ! c’est du Segrais tout pur.


Segrais, en 1638, était un écolier de quatorze ans absolument inconnu du marquis de Saverny. M. Victor Hugo a confondu Segrais avec Racan ; la pièce pastorale que Racan a intitulée les Bergeries est de l’année 1625, et M. de Saverny pouvait bien l’avoir lue. Partout ailleurs ceci ne serait qu’une vétille ; on ne chicane pas Shakspeare sur ses erreurs d’histoire, mais Shakspeare est Shakspeare, et il n’y a pas dans ses œuvres la moindre trace de pédanterie.

Ces impressions que nous avons ressenties l’autre soir sont tout à fait conformes à celles de nos devanciers ; Lorsque Marion Delorme fut reprise en 1839, et passa de la Porte-Saint-Martin à la Comédie-Française, Gustave Planche disait ici même : « A notre avis, Marion Delorme est de tous les drames de M. Hugo le seul qui renferme quelques-uns des élémens de la poésie dramatique. Marion et Didier, qui occupent le premier plan, expriment leurs pensées sous une forme exclusivement lyrique, mais la nature même de leurs pensées, de leur caractère, pouvait donner lieu à des développemens dramatiques. » Il y avait donc là le sujet d’une étude qui eût pu révéler nn maître ; l’étude a fait défaut, et le maître n’est pas venu, Gustave Planche ajoute : « Le malheur de Marion se comprend à peine, tant elle paraît avoir oublié ses premiers désordres. Pour que ce personnage fût humainement réel, sinon historiquement, il eût fallu que le spectateur assistât aux premiers développemens de l’amour de Marion pour Didier et vît la passion effacer peu à peu les souillures de la débauche, rajeunir et purifier l’âme de la courtisane. » C’est la vérité même, et toutes les reprises qu’on serait tenté de faire de Marion Delorme confirmeront le jugement du critique. On aura beau apporter à l’exécution les soins les plus scrupuleux, confier tous les rôles