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arctiques, réduite à quelques animaux de couleur terne, survivans de l’époque glaciaire, et à des oiseaux voyageurs réfugiés temporairement dans ces régions reculées, avec la faune nombreuse, variée, multicolore, qui remplit en tout temps la forêt tropicale. Vers le pôle, la vie s’éteint ; elle déborde sous les tropiques. La plante même semble animée, les animaux pullulent et disputent à l’homme la possession du sol ; les uns formidables par leur taille ou les armes dont ils sont pourvus, les autres redoutables par leur nombre, semblent ligués pour l’exclure du domaine où ils se multiplient sans cesse. Aussi toutes les influences dont nous avons parlé sont-elles sans action, si la chaleur est absente. La lumière, l’atmosphère et l’eau seraient impuissantes pour faire germer et développer la plante, si la chaleur n’intervenait pas dans une mesure appropriée aux besoins de chaque espèce. Sans chaleur, l’animal périt dans le sein de sa mère ou dans l’œuf, et cette chaleur même a sa source éloignée dans le soleil. Par les rayons solaires, un des élémens de l’air est décomposé, l’autre absorbé ; la matière verte et les autres principes immédiats se déposent dans le tissu des végétaux ; ceux-ci nourrissent l’animal, dont ils maintiennent la température ; cette chaleur active les fonctions, engendre les mouvemens, préside à la reproduction et enfin à toutes les modifications organiques par lesquelles les animaux se transforment depuis la monade jusqu’à l’homme. Transformation des forces physiques, transformation des espèces organisées, même phénomène sous deux aspects, ou plutôt la première une prémisse, la seconde une conséquence. Affirmer l’une et nier l’autre est radicalement illogique. Le physicien et le naturaliste ne sauraient se contredire, et la physiologie expérimentale confirme les jugemens de l’histoire naturelle. « En modifiant les milieux nutritifs et évolutifs, a dit M. Claude Bernard, et en prenant la matière organisée en quelque sorte à l’état naissant, on peut espérer d’en changer la direction évolutive et par conséquent l’expression finale. Je pense donc que nous pourrons produire scientifiquement de nouvelles espèces organisées, de même que nous créons de nouvelles espèces minérales, c’est-à-dire que nous ferons apparaître des formes organisées qui existent virtuellement dans les lois organogéniques, mais que la nature n’a point encore réalisées. » Ainsi parle notre premier physiologiste, et l’on voit qu’il est d’accord avec Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Darwin, qui, en étudiant le monde organisé vivant et fossile, sont arrivés à la même conclusion. Je n’insisterai pas davantage ; il était nécessaire de prouver l’influence de l’eau, de l’air, de la lumière sur les êtres organisés ; celle de la chaleur est évidente.