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III. — ORGANES ATROPHIES DEVENUS INUTILES.

S’il est vrai que l’influence de certains milieux, l’eau, l’air ou la lumière, détermine le développement des organes correspondans, qui augmentent de volume par un exercice habituel et se transmettent ainsi perfectionnés des ascendans aux descendans par voie de génération successive, il l’est également que ces mêmes organes diminuent de volume, c’est-à-dire s’atrophient ou même disparaissent, si, le milieu venant à changer, l’organe reste sans emploi. C’est ce que Lamarck[1] a parfaitement exprimé lorsqu’il a dit : « Le défaut d’emploi d’un organe, devenu constant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit graduellement cet organe et finit par le faire disparaître et même l’anéantir. » Cette branche de l’organographie végétale et animale est connue maintenant sous le nom de dystéléologie. Aux exemples cités par Lamarck et empruntés à la baleine, au fourmilier, à l’aspalax et au protée, nous en ajouterons un grand nombre d’autres tirés des deux règnes organiques.

Les botanistes avaient apprécié avant les zoologistes l’importance de ces organes rudimentaires. De Candolle, dans la première édition de sa Théorie élémentaire de la botanique publiée en 1813, consacre un chapitre spécial à l’avortement des organes. Les épines des arbres et des arbrisseaux sont des branches avortées. Sous l’influence d’un mauvais sol, de la sécheresse ou du voisinage affamant d’un grand nombre d’autres végétaux, elles restent courtes, dures et pointues. Transportez le prunier épineux d’une haie dans un jardin, cultivez-le, fumez-le, les épines s’allongeront sous forme de rameaux feuilles et il ne s’en-produira plus de nouvelles. Il existe aussi des avortemens constans dont la cause nous échappe, mais dont la réalité est incontestable. Ainsi dans les labiées et les antirrhinées la corolle est irrégulière, ne renferme que deux ou quatre étamines et souvent un filet sans anthère représentant d’une étamine avortée ; mais que la corolle redevienne accidentellement régulière, comme cela arrive quelquefois, la cinquième étamine reparaît ; c’est l’état normal et habituel des familles voisines, les solanées et les boraginées, dont la corolle, toujours régulière, porte constamment cinq étamines. Dans les liliacées, il y a ordinairement six étamines ; le genre albuca n’en offre que trois, mais trois filets placés entre elles représentent les étamines absentes. L’ovaire de la fleur du marronnier d’Inde est à trois loges contenant six graines ; cependant nous savons dès notre enfance que dans le fruit

  1. Philosophie zoologique, t. Ier, p. 240.