transforme en usage calculé et méthodique ce qui n’était que l’excès ou la fatalité du combat. Les Allemands ont eu le mérite d’inventer ou de perfectionner ce qu’un écrivain étranger, qui ne leur est pas défavorable, le colonel Rüstow, appelle « la guerre de terreur. » Ils ont notamment employé deux procédés au moins étranges. L’un de ces procédés est le système des otages, qui a été pratiqué dans la plus large mesure, et dont le dernier mot a été l’envoi d’un membre de l’Institut de France, de M. le baron Thénard, en Allemagne, — sans doute par suite du respect bien connu des Allemands pour la science ! Cet abus de la force généralisé, appliqué à propos de tout, par prévention ou comme garantie, est-ce un droit légitime de la guerre ? C’est une question d’équité et d’honneur entre les peuples civilisés. Un autre procédé consistait à rendre les villes entières, les villages responsables de la moindre mésaventure d’un soldat allemand, à considérer comme des bandits de simples gardes nationaux, à traiter la moindre résistance par le fer et le feu, par la fusillade et le pétrole, à promener partout enfin une loi du talion implacable et aveugle. C’était l’esprit de la guerre.de trente ans se réveillant en plein XIXe siècle, et mieux encore c’était, selon le mot du colonel Rüstow, « la destruction ordonnée de sang-froid, dans le plus grand calme. »
Au même instant, dès le mois d’octobre, ce système éclatait dans toute sa violence partout où passait l’invasion. Je ne parle pas des villes ouvertes, bombardées et brûlées après le combat, comme Châteaudun. Dans le pays chartrain, le petit village d’Ablis était livré aux flammes avec des raffinemens cruels en expiation du désastre d’un escadron de hussards surpris par une bande française. Dans les Ardennes s’accomplissait un drame qui vient de se dévoiler devant les tribunaux. Un sous-officier allemand avait été tué dans un engagement avec des francs-tireurs, non loin du village de Vaux. Le lendemain, une colonne ennemie arrivait, on s’empara de tous les hommes qu’on put saisir, ils étaient quarante, et on les enferma dans l’église en les prévenant qu’ils allaient être décimés. Le chef du détachement allemand, c’était un colonel de landwehr prussienne, tint une façon de conseil de guerre au presbytère ; il pressait le curé, pour en finir, de désigner les trois plus mauvais sujets de l’endroit, qui seraient punis pour les autres. Le curé se refusait énergiquement à cette complicité, il répondait que dans son village comme partout il y avait du bon, du médiocre et du mauvais, mais qu’il n’y avait aucun coupable, que personne n’avait fait le coup de feu, et le brave prêtre s’offrait lui-même en sacrifice pour ses paroissiens. Touché de l’émotion et du dévoûment de l’honnête ecclésiastique, le colonel s’écriait : « Pensez-vous, monsieur le curé,