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souffert de ces ligues d’intérêts qui, prenant pour point l’appui un groupe d’industrie, cherchaient à battre en brèche ou à réduire à merci d’autres industries concurrentes ou dépendantes. Dans les conditions d’une activité régulière, rien de plus fécond et de plus loyal que cette lutte, qui exerce le génie des inventeurs et développe le mouvement des capitaux. C’est à la fois le perfectionnement du produit et l’abaissement des prix, favorable aux consommateurs, qui sont les vrais cliens de la communauté ; mais ce n’était pas toujours le cas, et plus d’une fois le conflit avait eu lieu par un exhaussement des tarifs poussé jusqu’à la prohibition, c’est-à-dire dans les formes légales et en mettant la douane dans le jeu de l’une des parties. On citerait vingt exemples de ces exécutions officielles ; elles avaient cessé néanmoins par suite de règles de conduite plus sensées, et il n’était pas à croire qu’après nos désastres on les vît remettre en vigueur. Tout conseillait aux industries de se supporter les unes les autres, de concourir à un apaisement, à une sécurité dont chacune d’elles avait besoin, de ne pas se chercher chicane sur leurs moyens d’existence et les bénéfices qu’elles en peuvent tirer, à plus forte raison de ne pas ajouter à coups de majorité des ruines économiques à toutes celles dont nous avons à gémir. Tel est pourtant le spectacle que nous a donné le débat sur la loi des sucres, mettant aux prises la sucrerie et la raffinerie, l’agriculture et la manufacture.

Ce n’est pas tout ; il y a un autre combat en perspective et moins facile à vider. Entre l’Angleterre et la France existait un traité de commerce qui a été rompu un instant, puis signé de nouveau avec quelques amendemens. La Normandie et la Flandre avaient applaudi à la rupture, elles protestent contre l’accord intervenu et veulent en débattre les termes. On n’a pas tenu, à ce qu’elles prétendent, la balance égale entre les industries de l’un et de l’autre côté du détroit ; les proportions ne sont pas justes, les calculs ne sont pas exacts, c’est à revoir. L’Angleterre acquiesce, mais pour la France tout est à recommencer. Quand M. Thiers rompait la convention, il n’était pas suspect ; il l’est devenu depuis qu’il l’a modifiée et approuvée. Peu importe que l’acte soit politique autant que commercial ; ni la Normandie, ni la Flandre ne se paient d’un tel motif, et on le fera bien voir ! Voilà pourtant le langage que l’on tient dans le monde de l’industrie ; on n’y reconnaît d’autres gouvernemens que ceux qui s’en déclarent tributaires, obéissent au mot d’ordre et défendent avec un soin jaloux les privilèges du marché. Voilà encore un de ces maux dont nous nous croyions préservés et qui sévissent avec plus de force que jamais. Ainsi rien ne s’est amendé pour ce qui touche à la vie publique : dans les passions locales, dans les conflits d’intérêt, dans les compétitions