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LA MORT D’ALI PACHA.

en corps de nation. Navarin, Monembasia, Tripolitza, Corinthe, étaient passées aux mains des Grecs ; Coron, Modon, Nauplie, les châteaux de Patras, d’Athènes, celui de Caristo, dans l’Eubée, résistaient encore. Les Turcs se maintenaient dans Larissa et dans les vallées de la Thessalie. Les Grecs gardaient les défilés des Thermopyles ; les montagnards de la chaîne de l’Olympe et du Pélion donnaient la main aux bandes armées de la rive droite du Vardar. Ces bandes, grossies des Albanais chrétiens que le vizir de Janina avait pris jadis à sa solde, ne se retiraient plus devant le pacha de Salonique ; elles commençaient à le resserrer dans la ville. Fier du succès qu’il avait obtenu le 15 juillet 1821 sur les troupes de Kara-Ali, profitant de l’absence de la flotte ottomane, rentrée depuis le 4 novembre dans les Dardanelles, le monothète de Samos, Logothétis, avait débarqué à Chio le 22 mars 1822 avec environ 2,500 hommes. Après une escarmouche insignifiante, il était entré dans la ville, avait brûlé la douane, détruit deux mosquées et pris ses dispositions pour investir la citadelle. À cette nouvelle, les paysans que Tombazis n’avait pu décider à prendre les armes étaient accourus en foule sous les drapeaux du vaillant dictateur. Ainsi l’ensemble de l’Archipel était grec, à l’exception des trois villes de l’île de Candie, de la citadelle de Chio, des îles de Rhodes, de Cos et de Métélin. Le moment était venu de donner un gouvernement à cette agglomération ; l’insurrection jusqu’alors s’en était passée. Les intérêts du fisc avaient surtout préoccupé les conquérans turcs quand sous Mahomet II ils avaient confirmé dans leur autorité les magistratures locales. Le souverain avait droit au dixième des récoltes. Les municipalités furent investies du soin de recueillir cette dîme territoriale qui devait se payer en nature. Les primats ou kodja-bachis furent avant tout des collecteurs de taxes. Chaque village élisait son représentant sous le nom de démogéronte ; les démogérontes et le peuple des villes choisissaient à leur tour les proëstes, à qui était confiée en dernier ressort l’élection des primats. Des fermiers-généraux achetaient les revenus d’un district et les revendaient à ces agens. Forts du patronage que leur accordait le gouvernement ottoman, les kodja-bachis ne tardèrent pas, en dépit de ces apparences de suffrage populaire, à former en Grèce une aristocratie nouvelle et à mériter par leur insolence le nom qui leur a souvent été donné de « chrétiens-Turcs. » Deux fois l’an, ils se réunissaient à Tripolitza pour y arrêter, de concert avec le gouverneur et avec les évêques, les mesures relatives aux impôts et à la police. Telle était l’administration qui avait dirigé les premiers efforts des insurgés, pendant que le commandement militaire était successivement dévolu au bey Petro-Mavromichali et au prince