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Jusque-là, les choses étaient restées dans un état précaire, et les ambassades japonaises envoyées à l’Europe en 1862 et en 1864 n’avaient abouti qu’à des atermoiemens et à des hésitations. Les traités ne passaient encore au Japon que pour l’œuvre du taïcoun, et la sanction du véritable souverain, le mikado, n’y était pas encore donnée. Ce monarque avait même lancé un décret d’expulsion contre les étrangers. Les conventions de 1858 n’étaient point acceptées par les princes dont l’autorité constitue la féodalité japonaise : elles rencontraient l’opposition d’une grande partie du peuple, animé d’un sentiment de défiance et même d’hostilité invétérée contre tout ce qui n’est pas indigène. Les agens diplomatiques et les consuls n’avaient pour auxiliaire que le gouvernement du taïcoun, auxiliaire mécontent et tiède, obligé de se défendre contre les protestations nationales. A partir de 1865, les choses commencèrent à changer de face ; le mikado donna sa sanction officielle aux traités. Le paiement de 18 millions de francs imposé au prince de Nagato, après l’affaire de Simonoseki, fit faire des réflexions aux autres daïmios. Le prince de Nagato avait eu l’imprudence de lutter simultanément contre les étrangers et contre le mikado lui-même, dont il avait fait attaquer la capitale. Cet incident amena une communauté d’intérêts entre le mikado, le taïcoun et les représentans étrangers, tous ennemis à titres divers de l’audacieux daïmio. D’autre part, les puissances devaient profiter de la jalousie qu’inspirait l’autorité taïcounale à l’aristocratie japonaise. Seul, le taïcoun traitait avec les cours de l’Europe, seul il signait des conventions par lesquelles il prétendait engager le Japon tout entier, et, en n’ouvrant au commerce étranger que les ports situés sur le territoire taïcounal, il s’arrogeait le monopole des produits japonais.

Les amiraux et les agens diplomatiques européens profitèrent des jalousies excitées par cet état de choses. Après les affaires de Kagoaima et de Simonoseki, ils n’avaient pas trouvé dans l’attitude des princes de Satzouma et de Nagato cette méfiance farouche à laquelle on se serait attendu, et il fut dès lors facile de se convaincre que les grands daïmios se rapprocheraient volontiers des étrangers le jour où ils y verraient leur intérêt. L’hostilité contre les puissances européennes avait été de la part des chefs de l’aristocratie un moyen de flatter les passions nationales et surtout débattre en brèche le pouvoir du taïcoun. Les fausses notions que l’Europe s’était d’abord formées sur la situation intérieure du Japon commençaient d’ailleurs à faire place à une appréciation plus exacte des hommes et des choses. On reconnaissait enfin que le mikado, loin d’être, comme on l’avait cru d’abord, une sorte de souverain théocratique nanti d’une autorité purement religieuse, était en réalité le seul souverain véritable du pays, que son prestige était à la fois religieux et