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sorte élégante. Une autre partie de la maison ou une de nos nombreuses institutions de bienfaisance eût reçu, soigné, façonné ceux qui, frappés aux sources profondes, sont pour le professeur un embarras sans compensation. Aujourd’hui en réalité l’institution des sourds-muets n’est qu’un hospice dans lequel, sous la haute direction de l’administration, on distribue un enseignement approprié aux êtres incomplets qui l’habitent.

L’établissement contenait autrefois deux divisions, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles ; mais, en vertu d’un décret du 11 septembre 1859 celles-ci ayant été transportées à Bordeaux, il est maintenant réservé aux sourds-muets ; il est emménagé de façon à en abriter 250, et en renfermait 177 lorsque je l’ai visité au commencement de cette année[1] Vastes jardins, larges préaux découverts, gymnase, bibliothèque proprette, chapelle, salle d’apparat pour les exercices publics et les distributions de prix, réfectoire, dortoirs, infirmerie gardée, par trois sœurs de Bon-Secours et visitée par deux médecins, classes, ateliers, salon orné de quelques bustes et de tableaux représentant Rodriguès Pereire et l’abbé Sicard avec leurs élèves, grands escaliers à belle rampe en ferronnerie Louis XVI, admirable vue sur tout Paris, que l’institution domine, la maison est bien distribuée, quoique l’on reconnaisse facilement qu’elle ait été installée dans des bâtimens que l’on a dû approprier après coup. La vie y est réglée comme dans une caserne ; on se lève à cinq heures et demie, on se couche à neuf, la journée est divisée d’une façon uniforme entre la prière, l’étude, les repas, les récréations et l’apprentissage ; comme dans une caserne aussi, tous les signaux indiquant une évolution générale sont donnés à l’aide du tambour. Cela peut paraître étrange, rien cependant n’est plus rationnel : le sourd-muet n’entend pas le son, mais il perçoit les vibrations que le jeu des baguettes frappant sur la peau d’âne imprime aux couches de l’air environnant ; cette perception le frappe à l’épigastre, et encore plus souvent à la paume des mains et à la plante des pieds. C’est une loi physiologique que les centres nerveux renvoient la sensation aux extrémités ; si nous nous heurtons le coude, nous éprouvons immédiatement un « fourmillement » au bout du petit doigt. La trépidation physique qu’ils ressentent-est assez forte pour les réveiller lorsqu’ils dorment ; dans les classes, quand les élèves sont distraits et ne regardent pas le professeur, on agite vivement une table : l’ébranlement atmosphérique suffit pour rappeler leur attention.

  1. . Sur ce nombre, 18 seulement paient pension, demi-pension ou quart de pension ; les autres sont boursiers.