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Le séjour dans l’institution est réglementairement limité à sept ans ; cependant on ne refuse jamais, surtout pour un écolier studieux, une prolongation d’une année. L’âge le plus favorable pour commencer cette pénible éducation est dix ans : plus jeune, l’enfant comprend fort peu et n’est guère qu’un élément de trouble pour ses camarades ; plus âgé, il a déjà de mauvais principes, ou, pour mieux dire, de mauvaises habitudes de chirologie, qu’il substitue involontairement à la mimique raisonnée qu’on lui enseigne, — en un mot, il gesticule patois et ne peut plus que très difficilement arriver à gesticuler français. Avec le sourd-muet, l’instruction est bien lente ; il faut quatre ans avant de commencer l’explication du système métrique, et sept années pour parvenir à des exercices sur les formes de la conversation et de la correspondance. La première année tout entière est consacrée à enseigner les formes du présent, du passé, du futur, et à compter jusqu’à mille. Il suffit parfois d’une heure pour faire comprendre à un entendant-parlant ce qui exigera plusieurs mois lorsqu’on s’adresse à un sourd-muet. La plupart de ces malheureux arrivent à l’institution dans un état de santé fort compromis ; ils sont nés dans de mauvaises conditions sociales, sortent de familles ordinairement très pauvres ; ils ont pâti dès l’enfance, ils sont anémiques, scrofuleux, rhumatisans, malsains, et paraissent avoir une disposition organique vers les affections des voies respiratoires et de l’encéphale[1]. Ils se refont assez vite, extérieurement du moins, avec la vie régulière de la maison, les jeux violens au grand air et la nourriture, qui paraît suffisante. C’est là le côté physique, il n’est point négligé. L’hospice fait son œuvre, et l’enfant s’en trouve bien ; mais le but poursuivi est le développement intellectuel, et le rôle de l’école va commencer.

Les méthodes d’enseignement des abbés de l’Épée et Sicard ont été successivement modifiées, améliorées, surtout par Bebian, qui leur a donné une sorte de corps philosophique en partant d’un principe qu’on peut formuler ainsi : l’instruction donnée aux sourds-muets doit faire naître les circonstances concordant à l’idée qu’on veut fixer ou déterminer chez l’élève. L’enfant qui entre à l’institution ne sait rien, on ne lui a enseigné ni à lire ni à écrire ; dans sa famille, on l’appelait en le touchant du doigt. Le premier acte est de lui apprendre comment il se nomme. Dès qu’il est admis dans la classe, où trois pans de murailles sont couverts par d’immenses tableaux noirs, on le prend, on le place devant un de ces tableaux,

  1. Une statistique datant de 1832 indique 1 sourd-muet sur 40 atteint de troubla mental. Troisième circulaire de l’institution royale des sourds-muets de Paris. 1832. p. 123.