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apparent, dans nos climats, au bout de trente-huit à quarante heures. C’est sur la peau du ventre qu’on en observe les premiers effets : elle prend une coloration verdâtre, qui bientôt s’étend et gagne successivement toute la surface du corps. En même temps, les parties humides, l’œil, l’intérieur de la bouche, se corrompent, se ramollissent ; puis l’odeur cadavérique se développe peu à peu, d’abord fade et légèrement fétide (odeur de relent), ensuite piquante et ammoniacale. Peu à peu les chairs s’affaissent, s’infiltrent, les organes deviennent méconnaissables. Tout est envahi par ce qu’on appelle le putrilage. Si à ce moment on examine au microscope les tissus, on n’y reconnaît plus aucun des élémens anatomiques dont les trames organiques sont composées dans l’état normal. « Notre chair, s’écrie Bossuet dans l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, parce qu’il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps. Il devient un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue. » Quand toute structure a disparu, il ne reste plus qu’un mélange de matières salines, de matières grasses et de matières protéiques, qui sont ou dissoutes et entraînées par les eaux ou brûlées lentement par l’oxygène de l’air et transformées en de nouveaux produits, et petit à petit toute la matière du cadavre, moins le squelette, retourne à la terre d’où elle était sortie. C’est ainsi que les ingrédiens de nos organes, les élémens chimiques de nos corps redeviennent boue et poussière. De cette boue et de cette poussière émanent sans cesse une vie nouvelle et une puissante activité ; mais on en peut tirer aussi du ciment propre aux usages les plus communs, et, comme le dit Shakspeare dans Hamlet, la poussière d’Alexandre ou de César a pu servir à boucher la bonde d’un tonneau de bière ou à réparer le trou d’un mur. Ces « vils emplois » dont le prince de Danemark parle à Horatio marquent les limites extrêmes des transformations de la matière. En tout cas, les êtres infimes qui travaillent et se multiplient au sein de la putréfaction absorbent et emmagasinent réellement la vie, puisque sans eux le cadavre ne pourrait pas servir d’aliment aux plantes, lesquelles à leur tour sont le réservoir nécessaire où l’animalité puise la sève et la force. C’est en ce sens que la doctrine des molécules organiques de Buffon est vraie.

La mort est le terme nécessaire de toute existence organique. On peut espérer d’en reculer plus ou moins l’instant inévitable, mais il serait insensé d’en concevoir, dans une espèce quelconque, l’ajournement indéfini. Sans doute il n’est pas contradictoire de se représenter un équilibre parfait entre l’assimilation et la désassimilation, tel que l’économie serait maintenue dans une éternelle santé. En