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prendre, et que pouvait-on faire ? Rendre les détenus à la liberté, c’était donner une armée à l’émeute, qu’on avait eu tant de mal à réprimer. Les garder en captivité ? Les prisons n’y pouvaient suffire. La transportation vint se présenter à l’esprit comme une mesure propre à concilier le soin de la sécurité générale avec les droits de l’humanité. Elle sauvegardait l’intérêt public sans exposer les captifs aux souffrances d’une détention étroite entre les murs des prisons ; elle leur donnait le grand air et une certaine liberté de mouvemens sur de vastes espaces, enfin elle utilisait leurs bras au profit de l’état.

La loi sur la transportation, qui fut rendue à cette époque, porte les traces de cette préoccupation. On n’avait encore en vue que l’éloignement des prisonniers politiques, et cette pensée s’accentua plus encore par le décret du 8 décembre 1851, qui fut promulgué à la suite de nouvelles commotions. Il y était dit que la France avait besoin d’ordre, de travail et de sécurité, — que depuis un trop grand nombre d’années la société était profondément inquiétée par les machinations de l’anarchie et par les tentatives insurrectionnelles des affiliés aux sociétés secrètes ; en conséquence, tous les individus reconnus coupables d’avoir fait partie d’une de ces sociétés pouvaient être transportés, par mesure de sûreté générale, dans une colonie pénitentiaire, à Cayenne ou en Algérie. Ils devaient y être assujettis au travail et soumis à la juridiction militaire.

Plus tard, la transportation prit des développemens qui devaient en faire un puissant instrument de colonisation. Elle cessa de s’appliquer spécialement aux détenus politiques ; elle s’étendit aux condamnés enfermés dans les bagnes de France. D’abord leur expatriation fut libre et facultative. On obtint le consentement d’un grand nombre de forçats par la perspective d’un voyage, toujours agréable à des prisonniers, et par la promesse d’avantages réels : ils devaient cesser d’être enchaînés deux à deux ou assujettis à traîner le boulet, si ce n’est à titre de punition disciplinaire, et par-dessus tout ils pouvaient concevoir l’espérance d’échapper au mépris public dans une colonie peu peuplée. Quant au gouvernement, il ne voyait pas seulement dans cette expatriation des condamnés aux travaux forcés un moyen d’éloigner des hommes dangereux ; il y cherchait encore, comme nous venons de le dire, les élémens d’une grande colonisation. Le décret du 27 mars 1852 était fort explicite à cet égard : il disait que les transportés seraient employés aux travaux de la colonisation, de la culture, de l’exploitation des forêts ; il leur accordait, après deux années d’épreuve, la concession d’un terrain et la faculté de coloniser pour leur propre compte. La famille du condamné pouvait être autorisée