Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commun où les hommes d’état prussiens peuvent puiser à tout moment. La politique réaliste que l’on applique à Berlin a trouvé là son trésor de guerre.

Nous n’avons jamais eu à nous louer de la presse allemande ; sous l’empire, elle était peut-être encore plus malveillante à notre égard qu’elle ne l’est aujourd’hui ; mais nous ne sommes pas assez aveugles pour méconnaître qu’à son point de vue elle s’est montrée depuis 1866 fort intelligente et très patriote. Son patriotisme est souvent exclusif et arrogant : il se dirige toujours suivant une ligne très droite et ne s’égare pas souvent hors du chemin. Dans le domaine de l’imagination et du sentiment, l’Allemand se pique d’une spontanéité absolue ; dans la vie pratique, il est parfaitement positif. Don Quichotte est très lu en Allemagne et commenté fort savamment ; rien n’est plus rare chez les Allemands que le genre de folie auquel le héros de Cervantes a donné son nom. Depuis la transformation réaliste que l’Allemagne a subie sous la main de M. de Bismarck, cette folie a complètement disparu. Les Allemands, qui ont tant gagné au principe des nationalités, sont devenus le moins cosmopolite des peuples. Ils n’ont jamais écouté les protestations des Polonais : ils avaient pour cela de bonnes raisons ; mais ils professent un scepticisme assez hautain à l’endroit des « nouvelles couches politiques. » Les Serbes, les Croates, les Ruthènes, les Tchèques, toutes les races méconnues ou opprimées, « l’Europe de l’avenir, » ne trouvent pas en Allemagne beaucoup d’apôtres désintéressés pour soutenir leur cause. Il ne faut pas s’en prendre seulement à l’esprit médiocrement chevaleresque de la nation : les Allemands entendent la chevalerie à leur manière ; ils ne reculent pas devant les croisades, mais ils les conçoivent selon la méthode des chevaliers porte-glaive qui fondèrent la puissance prussienne ; ils tiennent pour la tradition de Beaudoin de Flandre, qui partit pour la terre-sainte et conquit Constantinople.

Pour les Allemands, dans les rapports de leur patrie avec l’Europe, il n’y a qu’une Allemagne, celle de l’empire, et qu’une politique, celle du chancelier. Loin d’être un aliment à leurs divisions, la politique étrangère est pour eux un terrain commun sur lequel ils se tiennent fermement unis. C’était autrefois le caractère particulier de la presse prussienne ; ce caractère s’est étendu à toute la presse allemande, et c’est une des grandes forces du nouvel empire. M. Benedetti, qui a été, malgré les calomnies de certains journaux, un observateur très perspicace de l’Allemagne, écrivait le 5 janvier 1868 : « La presse, vigoureusement disciplinée, habilement conduite, a secondé le gouvernement avec autant de patriotisme que de dévouement ; souvent divisée sur les questions de politique