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justement le point délicat, voilà où les partis se sont rencontrés de nouveau sans pouvoir suspendre une seule minute leur éternelle guerre. Que la délivrance du territoire ait répondu à un vœu universel, qu’elle n’ait éveillé qu’un même sentiment de joie et de reconnaissance, ce n’est pas douteux ; mais aussitôt ont éclaté en quelque sorte les arrière-pensées. Pour les uns, la libération du territoire, c’était la dissolution nécessaire, inévitable et prochaine de l’assemblée ; pour les autres, il y avait précisément à se prémunir contre ce danger d’une dissolution trop prompte, à prendre position en déclarant que l’assemblée n’a encore accompli qu’une « partie de sa tâche, » et c’est ainsi que les partis cherchent leur propre intérêt là où le pays ne voit que ce qui le touche, l’éloignement de l’étranger, la liberté définitive des provinces occupées.

Qu’en sera-t-il de ces calculs ? Évidemment le traité du 15 mars, en tranchant la première de toutes les questions, la question de l’intégrité nationale, ce traité crée pour l’assemblée une situation nouvelle. Cette situation d’ailleurs, on l’avait prévue. M. Dufaure l’avait indiquée dans la discussion de la loi des trente ; les orateurs de la droite en disaient assez eux-mêmes pour laisser voir qu’ils ne se méprenaient pas sur la durée possible de leur mandat. On était en quelque sorte convenu qu’à la libération du territoire il viendrait une heure où l’assemblée serait nécessairement conduite à disparaître. Cette heure est venue peut-être plus tôt qu’on ne s’y attendait, et voilà l’assemblée mise en demeure de prendre un parti, de s’interroger elle-même sur ce qu’elle peut, sur ce qu’elle doit faire. En tout cela, bien entendu, il ne s’agit pour la chambre ni de se dissoudre sous la sommation injurieuse des pétitions radicales, ni de mourir à jour fixe, ni de disparaître obscurément dans quelque vote de hasard ou de surprise arraché à la lassitude irritée des partis. L’autorité et la liberté de la chambre de Versailles restent entières, elles n’ont d’autre limite que le sentiment de l’intérêt national et de la nécessité. L’essentiel est de ne point se faire illusion, de regarder en face cette situation qui vient d’être créée, et dont les conséquences vont maintenant se dégager d’heure en heure. Certainement ce grand fait de la libération prochaine du territoire, qui domine tout aujourd’hui, n’a pas une simple signification matérielle ; il ne veut pas dire uniquement que, le jour où le dernier Allemand aura quitté le sol français, tout est fini. C’est la « première partie » de la tâche de l’assemblée ! comme on l’a dit, ce n’est pas la seule.

Quelle est donc cette seconde partie de la tâche du grand pouvoir parlementaire sorti des entrailles de la France au 8 février 1871 ? Quand on y réfléchit un peu, la mission de l’assemblée dans cette seconde et dernière partie de son existence n’est pas difficile à définir, elle ressort de la nature même des choses. Qu’on élargisse ou qu’on resserre à vo-