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faire prévaloir, des moyens d’intimidation qui ne pouvaient convenir au peuple suisse. Après avoir prouvé qu’ils ne se laissaient intimider par les menaces d’aucun parti, les hommes sensés de toutes les opinions doivent maintenant s’entendre pour apaiser un conflit regrettable en donnant satisfaction aux légitimes besoins du pays.


I

Au fond, toute cette querelle sur la révision de la constitution fédérale n’est qu’un incident nouveau de la lutte éternelle qui règne dans les états fédératifs entre la centralisation et le fédéralisme. C’est toujours un moment dangereux pour les républiques fédératives que celui où les nécessités des temps ou l’état de l’opinion publique les obligent à modifier le pacte d’union sur lequel elles reposent, et à déplacer plus ou moins l’équilibre des pouvoirs. Si elles résistent avec trop d’obstination aux besoins ou aux idées du temps, elles risquent de provoquer des révolutions violentes. Si au contraire elles y cèdent trop vite, et si elles dépassent la mesure des concessions strictement nécessaires, elles brisent le ressort de la vie nationale en rompant la chaîne des traditions qui faisaient leur force et leur gloire. La confédération suisse traverse en ce moment une de ces crises périlleuses, et ses difficultés intérieures empruntent une gravité plus grande aux dangers dont la menace l’état présent de l’Europe.

La guerre du fédéralisme et de la centralisation est déjà fort ancienne dans ce pays. Si elle se renouvelle aujourd’hui par l’influence de la politique allemande, elle a commencé à l’époque de la révolution française sous l’influence des idées et des armes de la France. Jusqu’à cette époque, toutes les formes de gouvernement vivaient pêle-mêle dans le sein de la confédération. Aux quatre cantons pastoraux, qui avaient traversé tout le moyen âge sans subir le joug de la féodalité, où les formes de la démocratie germanique primitive s’étaient maintenues depuis les temps les plus reculés, étaient venus se joindre, soit par conquête, soit par alliance, une foule de cités et de territoires où régnaient les coutumes féodales. La Suisse présentait alors sur son petit territoire des échantillons de tous les systèmes politiques et de toutes les espèces de société connues. A côté de la démocratie primitive et absolue, des seigneuries féodales, des principautés ecclésiastiques, telles que les évêchés de Porentruy, de Bâle, de Dissentis, les abbayes d’Einsiedeln et d’Engelberg, il y avait des républiques nobles, des patriciats municipaux, comme à Berne, Lucerne, Soleure, Schaffouse, où la haute bourgeoisie urbaine tenait son livre d’or, comme dans