Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/764

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les républiques italiennes, où le droit de cité était un privilège de la naissance, où le gouvernement appartenait à une aristocratie qui l’exerçait par un sénat ; la monarchie elle-même régnait à Neufchâtel, qui appartenait à la Prusse tout en faisant partie de la confédération. Il y avait des cantons catholiques fermés aux protestans et des cantons protestans fermés aux catholiques ; en général, la féodalité ecclésiastique régnait dans les cantons catholiques, le protestantisme au contraire était la religion des aristocraties bourgeoises. Puis il y avait à côté des cantons et dans leur dépendance des territoires soumis, habités par des populations vassales, que les cantons souverains gouvernaient despotiquement par des baillis ; on les appelait, comme chacun sait, les bailliages. Tels étaient les bailliages italiens soumis aux cantons d’Uri et de Schwytz, et qui sont devenus plus tard le canton du Tessin ; Vaud et Argovie n’étaient eux-mêmes que des territoires gouvernés par l’aristocratie bernoise. La ville de Bâle était suzeraine des campagnes environnantes. Appenzell s’était affranchi dès le XVe siècle des baillis qui le gouvernaient au nom du canton de Saint-Gall, et avait pris place dans la confédération au XVIe siècle. Presque partout, sauf dans les cantons pastoraux, les paysans des campagnes étaient serfs et sujets des bourgeois des villes, qui formaient au-dessus d’eux une véritable aristocratie féodale. Le souvenir en est resté vivant jusqu’à ce jour, et la plupart des rivalités cantonales n’ont pas encore d’autre origine.

Cependant de grandes familles militaires s’étaient formées partout, même dans les cantons démocratiques, dont les pauvres habitans faisaient leur industrie du métier des armes et s’engageaient comme mercenaires au service, des princes étrangers. Ces familles, disposant des grades dans les régimens qu’elles recrutaient et qui devenaient, pour ainsi dire, leur propriété, avaient fini par acquérir sur les populations voisines une autorité quasi féodale, de sorte que l’aristocratie s’était glissée dans le gouvernement populaire en même temps que la démocratie tendait partout à s’affranchir du joug des aristocraties municipales. C’était encore toute la variété et toute la confusion du moyen âge. Quoique le traité de Westphalie eût rompu tout lien entre la confédération et l’empire d’Allemagne, la Suisse était bien loin, d’être une république au sens moderne du mot, et elle ressemblait bien plus à l’Italie du XVe siècle qu’à la France de 1789 et de 1792.

L’exemple de la révolution française exerça sur ce pays une action profonde ; son influence se fit sentir avant même qu’elle n’eût éclaté, Dès avant 1789, l’ancien régime était menacé en Suisse comme en France. Les liens féodaux, se relâchaient, les populations