Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

centralisés où elles se livrent sur le nom d’un homme, et à plus forte raison dans les républiques fédératives, où elles ont pour objet des intérêts compliqués et des droits souvent obscurs.

Une dernière question restait à résoudre aux auteurs de la révision constitutionnelle. La votation populaire sur le projet qu’ils avaient élaboré se ferait-elle en bloc, ou, comme on dit à Berne, in globo ? se ferait-elle au contraire par groupes ? Il est bien évident que la votation par groupes est la seule qui sauvegarde la liberté du citoyen et qui puisse donner des résultats sérieux. La votation en bloc peut décider l’homme de parti à voter l’ensemble d’un projet dont quelques fragmens flattent son intérêt ou sa passion, mais elle empêche l’homme prudent et consciencieux de se prononcer librement ; chez un peuple sage et réfléchi, elle doit donner des résultats négatifs. Pour bien faire, il aurait fallu pouvoir voter séparément sur chaque article ; mais le vote en bloc permettait aux révisionistes des combinaisons et des coalitions d’intérêts dont le succès leur semblait infaillible. A la faveur de cette confusion soigneusement entretenue entre les affaires militaires et le droit civil, entre les chemins de fer et les questions religieuses, à l’aide de quelques concessions et de quelques avantages particuliers faits à tel ou tel canton, à telle ou telle classe, à telle ou telle confession religieuse, ils espéraient pouvoir grouper autour d’eux la grande industrie et le radicalisme avancé, la grande finance et l’état-major fédéral, les juifs et les catholiques. Il faut avouer, en toute justice, qu’ils n’avaient rien négligé ; le sursis de vingt ans accordé aux ohmgeld, les subventions octroyées pour l’entretien des routes alpestres, étaient autant d’appâts destinés à attirer les petits cantons et à les décider à trahir leurs intérêts politiques. C’est là ce qui a perdu les révisionistes, au rebours même de leurs prévisions ; ils ne sont parvenus, à force d’habileté, qu’à donner à leur entreprise le caractère d’une intrigue de bas étage, et en réponse à la coalition qu’ils avaient formée, il s’en est fait une autre qui s’est trouvée la plus forte.

Le plébiscite du 12 mai de l’année dernière a été, comme on s’en souvient, une surprise pour tous les partis. Les révisionistes se croyaient sûrs du succès ; ils n’avaient pas craint d’engager et de compromettre avec eux la dignité du gouvernement fédéral. Les présidens des deux chambres fédérales avaient adressé au peuple suisse une proclamation pompeuse qui se terminait par des paroles presque comminatoires. La presse révisioniste, exploitant les plus aveugles passions populaires, s’était efforcée de réveiller les haines religieuses et d’évoquer le spectre noir. Malgré tous ces efforts, la révision succomba dès la première épreuve, et elle fut rejetée au