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nuit. Aussi le nombre des métiers qu’on leur enseigne est fort restreint et se trouve nécessairement limité à quelques occupations où le toucher peut jusqu’à un certain point suppléer à la vue. Cet enseignement professionnel est très lent, très fastidieux, et doit fatiguer ceux qui le pratiquent. Il faut que l’enfant soit parvenu à retenir dans sa mémoire les différentes combinaisons des gestes qu’il doit faire avant d’essayer de les appliquer. Il y a là des jeunes aveugles qui empaillent les chaises ou qui tressent les bandes de rotin pour former le siège ; il y a des tourneurs qui sont adroits et suivent avec le pouce de la main gauche toutes les formes que le ciseau doit donner à la pièce de bois mise en mouvement par le tour ; quelques-uns déploient une véritable adresse et font de menus objets, flambeaux et bougeoirs, qui sont d’une exécution irréprochable. Ce sont les aveugles qui impriment les livres pointés spécialement réservés à leur usage : ils composent rapidement sur un composteur coupé de lignes à jour où le caractère s’engage en partie ; la main ne se trompe point de case lorsqu’elle saisit les lettres ; elle passe légèrement sur le cadre de chaque compartiment, et cela lui suffit pour ne pas commettre d’erreur. La correction des épreuves exige deux personnes : l’une palpe la copie et lit à haute voix, l’autre tâte la forme d’imprimerie et répète la ligne déjà lue. La presse à bras est manœuvrée par un aveugle, mais le papier est placé sous le rouleau, il en est retiré et mis au séchoir par des enfans voyans dont les yeux, au milieu des regards éteints que l’on aperçoit, brillent comme des escarboucles. C’est une grande joie pour les élèves de l’institution de pouvoir venir dans l’imprimerie, car des cages suspendues le long de la muraille contiennent quelques serins et deux ou trois chardonnerets. Ils sont passionnés pour les oiseaux chanteurs, ils les soignent avec amour ; c’est à qui leur apportera quelque mie de pain ou un peu de sucre. Si l’on tolérait un rossignol dans une classe, le professeur aurait beau parler, nul ne l’écouterait plus.

Un métier assez suivi est celui de filetier, qui cependant exige parfois des combinaisons multiples et très compliquées. Il ne s’agit pas en effet de produire simplement ces filets à mailles toujours semblables qui servent à faire des pêchettes ou dans lesquels les collégiens mettent du pain et des cerises lorsqu’on les conduit aux bains froids ; il faut pouvoir agencer tous les filets possibles, l’épervier qu’on jette en rivière, le panneau dont on entoure les enceintes à lapins pendant les battues, l’énorme filet qu’on tend sous la corde raide ou le trapèze des gymnastes, le fichu de laine, la capeline dont les femmes s’enveloppent au sortir du bal, les appuie-têtes dont la petite bourgeoisie garantit économiquement le dossier de ses fauteuils. On n’en finirait pas, si l’on voulait énumérer tout