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que bien rarement pour lui donner des secours ; elle fait mieux, elle s’emploie activement à lui trouver une situation qui l’aide à créer son indépendance par le travail ; dans ce dessein, elle s’occupe surtout de nouer des relations avec les facteurs d’instrumens de musique, avec les fabriques des églises, avec les patrons qui peuvent utiliser la science acquise par l’enseignement professionnel. Son but est élevé, il est philanthropique au vrai sens du mot. La liste des donataires est très instructive à parcourir ; elle prouve quelle reconnaissance les anciens élèves ont gardée au fond du cœur pour la bienveillante institution qui les a longtemps abrités et en a fait des hommes. Les souscripteurs sont nombreux, presque tous ils sont aveugles ou attachés à la maison par un lien quelconque. La somme versée est minime, en général 3 francs ; c’est de/ne un sacrifice réel prélevé péniblement sur la paie ou sur les maigres émolumens. Cela en dit bien long en faveur de ceux qui donnent ; ils ont la rare vertu du souvenir, et démontrent ainsi le bon aloi de l’éducation morale qu’ils ont reçue.

Cette institution est à encourager sous tous les rapports ; elle est utile au premier chef, très bien conduite, et il m’a paru que chacun y était dévoué à l’œuvre collective. On peut regretter qu’elle ne soit pas plus ample, ou qu’elle n’ait pas quelques succursales propres à recueillir les enfans auxquels son exiguïté l’empêche d’ouvrir la porte à deux battans. Il y a en France environ 3,000 jeunes aveugles en âge d’être instruits, et nos établissemens spéciaux n’en peuvent guère contenir que 400. Que deviennent les autres ? En 1833, lorsque M. Guizot discutait la loi du 28 juin sur l’enseignement, il disait : « L’enseignement primaire est la dette du pays envers tous ses enfans. » Bien des aveugles restent encore créanciers éconduits. L’instruction est cependant pour eux, plus encore peut-être que pour les voyans, un bienfait qui n’a pas d’équivalent. A l’aveugle pauvre, elle donne un métier où il trouve des ressources suffisantes, elle l’arrache à la mendicité et à l’hospice ; à l’aveugle riche, elle apporte des satisfactions profondes, toujours renouvelées, qu’il ne peut attendre que de la culture de son esprit ; pour tous deux, elle ouvre le monde fermé, déchire la nuit qui les enveloppe, neutralise l’infirmité dans une mesure très étendue, et les crée bien réellement à une vie nouvelle. Aussi, en étudiant cette institution mère, dont tout l’honneur revient à notre pays, en constatant les résultats qu’elle obtient, on déplore qu’elle ne soit pas assez vaste pour accueillir, pour éclairer tous ceux qu’un mal irréparable condamne à la double nuit de l’ignorance et de la cécité.


MAXIME DU CAMP.