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leurs chers animaux. Des rixes s’ensuivaient, et plus d’un Sancerrois s’en retournait le nez en sang ou la patte boiteuse se faire panser par le barbier de son quartier. Enfin un jour que cette brutale imbécillité avait eu sans doute des conséquences plus désastreuses que de coutume, le clergé s’en mêla, et, sur les représentations de l’abbé de Saint-Satur, le comte de Sancerre en prononça l’abolition dans les premières années du XIIIe siècle[1].

Peut-être la nature de la localité était-elle en partie coupable de ces excès d’espièglerie, car nulle n’est mieux faite pour pousser aux actes de turbulente bonne humeur. La campagne qui monte de Saint-Satur à Sancerre se compose d’une suite de monticules ou, pour mieux dire, d’ondulations dissimulées par les accidens de terrain et comme cachées en tapinois les unes derrière les autres, qui se découvrent et disparaissent successivement à mesure qu’on monte la colline. Les images aimables se pressent en foule dans l’esprit à la vue de ce spectacle mouvant d’une douceur non pareille. Tantôt on dirait une bande de jolis bambins qui jouent à colin-maillard, et tantôt un enfant sournois qui, s’avançant à pas silencieux derrière une sœur aînée, l’entoure de ses petits bras avec un naïf éclat de rire ; mais le plus souvent c’est une image moins chaste qu’évoque à l’esprit cette campagne en quelque sorte palpitante, grâce à l’illusion de ces exhaussemens et de ces abaissemens successifs, et il semble voir la déesse Nature elle-même, toute pareille à la Diane multimammia, symbole de sa fécondité, qui, saisie de volupté, étend ou reploie ses membres avec une langueur élégante, ou soulève avec un frémissement rhythmé par le plaisir tantôt l’une, tantôt l’autre de ses mille mamelles.

Bien que cette campagne ondulée ne soit séparée de celle du Nivernais que par l’étendue de la Loire, on s’aperçoit, rien qu’à sa mollesse et à sa douceur, que ce n’est déjà plus le même pays. Ici se découvre pour la première fois dans toute sa séduction légèrement énervante la bonne, calme et quelque peu sensuelle nature du Berry, qui, pareille à une femme dont les beautés principales seraient aux parties du corps que recouvre le vêtement, cache dans les coins secrets et les plis ignorés de son domaine tant de charmans détails et de délicieuses surprises. Pour retrouver la nature du

  1. Nous trouvons ces très curieux détails dans une Histoire de Sancerre écrite au dernier siècle par l’abbé Poupard, qui fut pendant près de cinquante ans curé de cette ville. Ce livre, à peu près inconnu hors du Berry, mérite d’être lu et consulté par tous ceux qui s’occuperont de ces provinces du Nivernais et du Berry, ne fût-ce que pour un esprit de tolérance qui sent son XVIIIe siècle, et pour l’impartialité avec laquelle l’auteur, en dépit de ses croyances et de son titre, a jugé et utilisé les documens protestans. L’abbé Poupard fut un des députés du clergé pour la province du Berry aux états-généraux de 1789.