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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/92

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REVUE DES DEUX MONDES.

Mais Elsie ne se possédait plus, était toute frémissante. — Attendre ! s’écria-t-elle, et si je ne le puis pas ? Vous avez, vous, madame, l’expérience acquise, les chagrins éprouvés déjà, la force qu’ils donnent, tandis que j’en suis, moi, à ma première douleur, qui sera peut-être celle de toute ma vie. Je veux savoir, fit-elle d’une voix brève, pourquoi l’on ne veut point de moi, pourquoi l’on me repousse.

— Je n’ai pas dit cela.

— Tout le dit pour vous. Écoutez-moi, je vous le prouve.

Elle dit alors ses inquiétudes et ses craintes, ses doutes et ses soupçons depuis sa première visite à Mme d’Hesy et à sa fille jusqu’à cette dernière révélation que Philippe lui avait faite, qu’il n’avait jamais entendu prononcer le nom de M. de Reynie. Elsie parlait par saccades, avec un emportement triste, et au fur et à mesure qu’elle parlait, sa pensée secrète, qu’elle n’avait pas su démêler jusque-là, dont elle n’avait osé sonder la profondeur terrible, se dégageait de son obscurité et de ses liens. La jeune fille y marchait malgré elle, plus effrayée, plus clairvoyante à chaque instant qui s’écoulait. Les mots eux-mêmes en se répétant apportaient de sinistres preuves. — Pourquoi, depuis vingt ans qu’il a quitté la France, disait-elle en son transport, ni votre fille ni vous n’avez-vous prononcé le nom de mon père ? Philippe, qui a vingt ans, ne l’a jamais entendu s’échapper de vos lèvres, il me l’a dit en innocent complice de mon épouvante. Pour qu’une femme comme Mlle d’Hesy ne prononce jamais le nom de l’homme qui l’a aimée, il faut,. . . il faut que cet homme se soit mal conduit envers elle.

— Vous accusez ma fille ! s’écria Mme d’Hesy, vous accusez Clotilde !

— Je l’accuse, fit résolument Elsie.

— Eh ! malheureuse fille, reprit Mme d’Hesy dans un grand trouble, songez-vous à ce que vous dites ? Qu’auraient à faire en fin de compte nos ressentimens contre M. de Reynie à votre mariage avec Philippe ?

— Rien certes, répondit Elsie d’une voix agitée. Aussi c’est là que je m’arrête et que je tremble, c’est là que je me refuse à la lumière qui se fait en moi, c’est là que je ne veux plus songer à ce que Philippe m’a dit de sa sœur, de sa tendresse pour lui, des soins qu’elle lui a prodigués. Je veux oublier que, lorsque je l’ai vu, lui, pour la première fois, il m’a semblé l’avoir vu déjà, que je retrouvais en lui des regards, des sourires, des gestes, qui ne m’étaient point étrangers. Ah ! poursuivit-elle en éclatant, je suis folle, tenez, madame ! — Elle se jeta tout en pleurs aux pieds de Mme d’Hesy. — H serait pourtant bon et généreux à vous de vous