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blanc, coloration neutre qui manque de vivacité et d’attrait, mais qui n’est pas sans douceur. La partie la plus instructive de ce musée céramique cependant, ce n’est pas la plus belle et la plus originale, c’est la plus laide et la plus grossière. On peut y apprendre par un tout petit exemple comment la science est toujours à la veille de sombrer dans l’ignorance, et la civilisation toujours prête à retomber dans la barbarie ; un rien suffit pour cela, un incident inaperçu ou dont on n’a pas tenu compte par légèreté, un élément inattendu qui prend une extension trop grande, une manie d’imitation qui n’a pas de raison d’être. Il est étonnant de voir avec quelle rapidité dégénéra la fabrique de Nevers. Dès la fin du XVIIe siècle, forme, coloration, sujets d’ornement, tout se vulgarise ; une grossière imagerie religieuse et de ridicules sujets de genre prennent la place des jolies décorations mythologiques et pastorales des époques précédentes. Le dessin n’en vaut pas celui des figures que les enfans dessinent sur leurs livres de classe, les sujets sont incompréhensibles dans leur vulgarité, et les devises imbéciles qui prétendent les expliquer les rendent plus obscurs encore. Le plus clair de ces non-sens représente l’arbre d’amour scié au tronc par deux demoiselles armées d’un instrument de scieur de long ; la devise explicative de ce beau sujet est à l’avenant. Enfin, quand on arrive à l’époque de la révolution, la barbarie est à son comble ; on ne peut rien imaginer de plus stupide, et l’intelligence d’un Œdipe ne suffirait pas pour comprendre la nature de ces sujets embrouillés dans leur ineptie et le texte ténébreux de ces devises.

Nevers possède deux églises dignes d’intérêt, Saint-Étienne et la cathédrale de Saint-Cyr. Saint-Etienne est la plus ancienne des deux, et l’on peut presque dire qu’elle remonte à l’origine même du Nivernais, car, en-deçà de la date à laquelle se rapporte la fondation, l’histoire de cette province n’est que ténèbres, incertitude et confusion. Cette église fut bâtie vers la fin du XIe siècle, presque dans les mêmes années que celle de La Charité, et placée, comme cette dernière, sous le patronage de Cluny, par le premier comte du nom de Guillaume, le fondateur authentique de cette maison féodale dont nous avons vu les membres successifs en si longues querelles avec les abbés de Vézelay. C’est un édifice roman dont l’extérieur lourd et sans grâce fait peu de promesses, et dont le vaste intérieur est d’un puissant effet. Je n’ai guère vu d’église d’une sévérité plus sombre ; les ténèbres visibles de Milton y ont véritablement établi leur empire. Pendant que je me promène à travers son crépuscule, en me laissant aller aux rêveries qu’il suggère, il me semble que je pénètre mieux que je ne l’avais encore fait une des causes qui ont élevé la puissance du christianisme,