Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/966

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh bien ! dit M. Piétri, vous arrivez d’Allemagne, qu’avez-vous vu et entendu ?

Au moment où Hansen va répondre, on entend du bruit de l’autre côté du cabinet, une portière se lève, et l’empereur Napoléon paraît. — Sire, fui dit M. Piétri, voici M. Hansen, un Danois qui aime par-dessus tout sa patrie, et qui nous a rendu aussi de grands services, parce qu’il a comme Danois des sympathies pour la France. il a parcouru l’Allemagne, il a vu des personnages importans et vient me communiquer le résultat de ses observations.

L’empereur s’incline légèrement, « et le sourire bienveillant qui dans la conversation éclairait parfois avec tant de charme son visage immobile passe sur ses traits comme un rayon de soleil. »

— Je sais, dit-il d’une voix basse, mais nette, que tous les Danois aiment leur pays et qu’ils sont par conséquent sympathiques à la France, son amie. Votre nom, monsieur, m’est connu comme celui d’un homme qui se distingue par son patriotisme ardent et actif, même dans une nation de patriotes telle que la vôtre.

M. Hansen salue en rougissant. — Sire, de si bienveillantes paroles me font presque oublier que mes efforts ont été jusqu’à présent inutiles. Puisque mon nom modeste est connu de votre majesté, elle doit savoir aussi combien j’aime la France et combien j’honore son empereur, à qui est donné le pouvoir de décider si le Danemark doit conserver la place qui lui convient parmi les nations européennes.

L’empereur baisse la tête, puis, relevant son regard observateur sur M. Hansen, lui dit, après avoir demandé à M. Piétri les dépêches nouvellement arrivées : — Je ne veux pas troubler votre conversation, monsieur ; faites comme s’il n’y avait personne ici, pendant que je lis mes lettres.

M. Piétri reprend sa place devant son bureau et fait signe à M. Hansen de l’imiter. — Vous êtes allé d’abord à Berlin ? demande-t-il.

— Oui, et j’en ai rapporté la conviction que le grand conflit allemand est inévitable.

— Est-ce qu’on le veut partout ?

— On ne voudrait pas le conflit, mais on veut ce qui ne saurait être atteint sans conflit.

— Et ce serait ?

— La réforme complète de la confédération, la prépondérance militaire jusqu’au Mein, la rupture avec les traditions créées par Metternich. M. de Bismarck a pris son parti d’atteindre au but qu’il prépare, fût-ce par les armes.

— Ne se contenterait-il pas de la possession unique. du Slesvig et du Holstein ?