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— Non, sur cette base la guerre ne serait pas conjurée. Croyez-moi, monsieur, elle n’aura pas lieu à cause des duchés allemands. Berlin sait qu’ils lui reviendront tôt ou tard, et on ne craint guère les résolutions du duc d’Augustenbourg ; la guerre est fondée sur le développement historique de l’Allemagne et de la Prusse. En effet, la Prusse est non pas le second état de l’Allemagne, mais le premier, el la confédération, qui lui assigne le second rang, arrête son développement naturel par un mécanisme dont les ressorts se meuvent à Vienne. La Prusse veut la place qui lui appartient en Allemagne, et que l’Autriche lui ravit injustement. Cette querelle n’est pas nouvelle, et le jeu de la diplomatie européenne l’eût peut-être longtemps laissée pendante, si le comte de Bismarck n’avait pas été mis à la tête du gouvernement prussien. Ce diplomate est l’incarnation de la Prusse, fortifiée par son génie rare et original. Il n’ira jamais à Olmütz, il acquerra pour son pays le rang qu’il envie, ou il périra.

L’empereur avait laissé tomber les lettres sur ses genoux, et son œil était fixé pensif sur le visage de M. Hansen. M. Piétri, s’apercevant de l’attention qu’il prêtait à cet entretien, dit en souriant : — Il est étrange d’entendre un Danois parler ici, à Paris, avec une telle effusion d’un ministre prussien.

— Pourquoi ? répartit Hansen avec calme ; l’homme qui sait ce qu’il veut et qui emploie toutes ses forces pour faire prévaloir sa volonté, qui aime sa patrie et qui travaille à lui procurer grandeur et puissance, celui-là m’impose, et il a droit assurément à l’estime par ses efforts, à l’admiration s’il réussit. Entre moi et M. de Bismarck, il y a le Danemark. Ce qui est allemand dans les duchés, nous n’y prétendons pas, nous réclamons ce qui est danois et ce qu’il faut au Danemark pour garder ses frontières. Quand on nous aura donné cela, nous n’aurons plus de raisons pour être ennemis de l’Allemagne ; mais, en refusant d’accomplir nos vœux légitimes, la Prusse trouvera toujours le petit Danemark du côté de ses ennemis et guidé par le même motif qui détermine les actes de M. de Bismarck.

Napoléon écoute attentivement. — Croyez-vous, reprend M. Piétri, que la Prusse soit disposée à satisfaire vos désirs ?

— Ce n’est pas impossible, réplique avec sécurité l’agitateur danois, surtout si la Prusse peut s’allier avec une autre grande nation pour cet arrangement. Il n’y aurait alors qu’à fixer les limites des intérêts allemands et danois.

— Mais, interrompt M. Piétri, si M. de Bismarck veut la guerre, le roi ira-t-il aussi loin que lui ? N’abandonnera-t-il pas plutôt, son ministre ? N’avez-vous pas rapporté de Berlin l’impression que M. de Bismarck pût être remplacé par le comte de Goltz ?