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de se plier à la force des choses, ils essaient aussitôt de s’y dérober par des diversions compromettantes, en se vengeant de leurs mécomptes sur tout ce qui les gêne. Pour les uns, l’ennemi c’est le gouvernement et tout ce qui représente la situation actuelle ; pour les autres, le grand ennemi c’est l’assemblée. Pour tous, le premier mot c’est l’esprit de parti dans toute son irréflexion, le dernier mot c’est une impuissance agitée.

Voilà le malheur et voilà aussi l’explication de la marche des choses depuis quelque temps. On ne fait pas ce que nous appellerons de la politique d’intérêt public, d’intérêt national, on fait de la politique d’arrière-pensée, de réserve, de défi et de mauvaise humeur, une vraie guerre de broussailles et de surprises. On proteste qu’on ne veut pas toucher à M. Thiers, et en effet on évite de l’atteindre directement, on déclare même par un vote solennel qu’il a bien mérité de la patrie ; mais le lendemain on ne laisse pas échapper l’occasion de l’aiguillonner, de lui infliger de petits échecs, on prend à partie le premier ministre qu’on trouve sous la main pour le mettre dans l’embarras. M. Dufaure était fort en faveur il y a quelques mois parce qu’on se figurait naïvement qu’on allait pouvoir le séparer de M. Thiers, et déjà il est menacé de perdre les applaudissemens par lesquels certaines fractions de la droite fêtaient ses paroles. M. de Goulard restait le ministre préféré, et à son tour il commence peut-être à devenir suspect. Quoi donc ? Ne vient-il pas de prendre pour sous-secrétaire d’état un homme d’esprit, préfet depuis 1871, conseiller d’état depuis quelques mois, M. E. Pascal, qui, malgré des opinions monarchiques qu’il ne désavoue pas, se rallie sans réticence à la république d’aujourd’hui ? Bref, la droite, mécontente et troublée, cherche un peu de tous les côtés sur qui elle déversera sa mauvaise humeur, et croit fort utile de faire à tout propos acte de défiance et de prépotence, sans se demander si, en aggravant les difficultés d’une situation pour laquelle elle a peu de goût, elle ne se crée pas des impossibilités à elle-même.

Qu’est-ce que cette échauffourée qui a signalé une des dernières séances de l’assemblée avant les vacances et où M. Grévy s’est vu conduit à répondre par la démission des fonctions de président à des manifestations qu’il a jugées blessantes pour son autorité et pour sa dignité ? C’est tout simplement un acte d’impatience et de mauvaise grâce dont on n’a peut-être pas au premier moment calculé la portée. La scène, à dire vrai, n’a point laissé d’avoir un certain côté comique. Une question de dictionnaire s’est trouvée tout à coup jouer un rôle politique assez imprévu. Un orateur de la gauche, M. Le Royer, parlant de la réforme municipale projetée à Lyon, s’est servi du mot « bagage » pour caractériser l’ensemble de faits et de raisonnemens produits dans le rapport de la commission et dans un discours du rapporteur. « Bagage, » l’Académie avait-elle prévu le cas ? Ce vocable était peut-être familier ou léger, il n’était pas au demeurant des plus injurieux, et surtout il n’était pas de