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sentiment semblable qui fait éclater la rupture entre le gouvernement prussien et Pie IX ; si l’ivresse du succès ne lui inspire pas les éclats pittoresques et terribles des colères de Napoléon, elle n’en est pas moins réelle. Après le traité de Versailles, on n’entendait à Berlin que les acclamations enthousiastes de cette Europe utilitaire dont les adulations universelles couvraient le gémissement sourd et profond de l’Alsace. Un opprimé qui pleure, qu’est-ce que cela ? Le char de triomphe passe sur lui, et tout est dit. La résistance est moins facile à négliger que la plainte ; or il est certain que le caractère que la politique prussienne avait donné à la guerre, surtout dans la dernière période, était bien fait pour exciter les défiances et le mécontentement des catholiques de l’empire. On l’avait présentée sans détour comme une guerre sainte. L’empereur Guillaume était devenu une sorte de Gustave-Adolphe plantant le drapeau de la réforme sur une terre infidèle et marchant à la victoire avec le dieu des armées, qui était incontestablement un dieu prussien. Plus cette couleur religieuse se prononçait dans les proclamations ou dans les télégrammes, plus l’idée protestante semblait l’emporter sur l’idée catholique, — car la guerre ne pouvait être sainte qu’en étant poursuivie au nom d’une religion qui ne fût pas celle de la nation que l’on voulait écraser. Sans doute ces prétentions ne s’affichaient pas avec netteté dans les documens officiels, elles s’étalaient néanmoins dans la presse dite évangélique de l’Allemagne et dans les prédications des trop fameux aumôniers de ses armées.

En réalité, les catholiques allemands avaient obéi tout autant que les protestans à l’entraînement du sentiment national, comme on en peut juger par la brochure de M. de Ketteler, archevêque de Mayence, intitulée les Catholiques dans l’empire allemand. Il réclamait l’union de l’Allemagne entière sous l’hégémonie prussienne, même après l’exclusion de l’Autriche ; son antipathie contre nous s’exprimait avec une candeur toute germanique à chaque page de cet écrit ; on la retrouvait jusque dans ses protestations contre la religion territoriale du nouvel empire. « C’est proprement, disait-il, le mal français. » Ni les protestations ni les actes n’ont rassuré M. de Bismarck. Le catholicisme était évidemment réfractaire à l’unité germanique telle qui la concevait ; c’était assez pour qu’il voulût le désarmer et l’asservir. Sa pensée allait plus loin : il y voyait un allié naturel de l’ennemi héréditaire, prêt à se faire son complice par une affinité naturelle et irrésistible. Veut-on avoir le secret de toute la politique religieuse du chancelier de l’empire d’Allemagne, qu’on médite les paroles suivantes qu’il a prononcées à la chambre des seigneurs l’année dernière dans la