Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/148

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Sans partager l’irritation de Baronius, qui s’écrie brutalement que Sigebert en a menti, ni le dédain de Voigt et de son traducteur, qui n’estiment pas le témoignage du chroniqueur digne d’examen, je crois plus juste de l’expliquer et de lui faire la part qu’il mérite. Remarquons d’abord que Sigebert écrivait à Liège ou à Metz, et que Grégoire mourait à Salerne ? c’étaient au XIe siècle les deux extrémités du monde. Remarquons encore que Sigebert n’affirme pas ; il transcrit une information, sans commentaire : de hoc ita scriptum reperi. Religieux et chroniqueur de profession, Sigebert écrivait sur des documens qui lui étaient transmis, ou d’après ce qu’il croyait avéré lui-même. Ici, c’est un correspondant ou un rapporteur quelconque qui lui a fourni l’anecdote, et il l’enregistre avec exactitude. Quel est le fait dont il s’agit ? C’est qu’après s’être confessé à Dieu, à saint Pierre et à toute l’église d’avoir grandement péché dans sa charge, Grégoire aurait avoué d’avoir suivi l’inspiration du diable en allumant la colère et la haine parmi le genre humain, bien que son entreprise n’eût eu pour but que la gloire de la religion ; sur quoi, voyant venir sa dernière heure, et voulant revêtir la pureté angélique, Grégoire aurait député un cardinal à l’empereur pour dégager ce dernier de l’excommunication, et pour remettre les fautes commises à tout le peuple chrétien, clercs et laïques,[1]. Voilà ce que raconte en substance Sigebert, l’un des plus honnêtes et des plus exacts annalistes de cette époque.

Eh bien ! dans ce récit, il n’y a que sincérité ; mais il y faut porter le flambeau de la critique. Sigebert transcrit un document qui lui est fourni ; son lecteur en est dûment informé. Sigebert a-t-il cru le document digne de foi ? Bien qu’il s’abstienne de le dire, je suis porté à penser que oui. L’église de Liège, au milieu de laquelle a vécu Sigebert, a été affligée de l’ardeur des attaques de Grégoire VII contre Henri IV, et sans craindre le schisme elle est restée fidèle à son légitime souverain ainsi qu’à la famille salique, avec laquelle elle avait des liens d’origine et d’attachement héréditaire. Nous verrons plus tard quel témoignage touchant et solennel le clergé de Liège en a donné à l’empereur franconien dans son adversité dernière. De cette disposition d’esprit à la croyance aux regrets de Grégoire VII, il n’y a qu’un pas. Ces regrets soulageaient le clergé catholique de Liège, et quelque prêtre ou moine a bien pu

  1. Voici le texte : « De hoc ita scriptum reperi. D. Apostolicus Hildebrandus,… in extremis positus, ad se vocavit unum de 12 cardinalibus… et confessus est Deo et Ste Petro et toti ecclesiæ, se valde peccasse in pastorali cura,… et suadente diabolo contra humanum genus odium et iram concitasse. Postea vero sententiam, quæ in orbo diffusa est, pro augmento christianitatis cœpisse dicebat. Tune misit prædictum ad imperatorem, ut optaret illi indulgentiam, quia finem vitæ sus aspiciebat, et induens se angelica veste, dimisit vinculum omnium auorum bannorum Imperatori, etc. » Dans la collection de Pistorius, I, p. 845, et dans la collection, de Pentz, VI, sub. ann. 1085.