Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/150

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dernier, que M. Watterich a eu grand tort d’exclure de sa collection, se termine par un récit presque identique avec celui de Sigebert. Celui-ci dérive évidemment du premier[1]. Une incontestable curiosité s’attache à ces impressions de l’époque même où mourut Grégoire VII. Il n’avait pu attaquer tant de passions et renverser tant de fortunes sans exposer sa mémoire à ces déchiremens. D’ailleurs il est bien avéré qu’il a fait violence à son siècle en l’entraînant dans la voie de la réforme religieuse. « Cet homme impérieux, dit un prélat contemporain, veut que tout plie devant sa volonté : periculosus homo vult jubere, quæ vult ; il commande aux évêques comme à ses valets de ferme, episcopis ut villicis suis, et malheur à qui ne lui obéit pas aveuglément et promptement[2] ! »

De tout cela, on ne saurait rien conclure, malgré l’autorité contraire du docte Saint-Marc, pour la vérité du fait avancé par Sigebert. Sans recourir aux miracles, comme Baronius, Paul de Bernrieder et autres hagiographes, tout ce qui s’est passé autour du lit de mort du grand pontife dépose contre ses regrets prétendus. Il a pu regretter certains actes secondaires ou l’emploi d’amis compromettans comme Robert Guiscard et autres, et peut-être les relations de Sigebert et de Florent de Wigorn s’appuient-elles sur un fond de tradition, véritable en ce point, tradition qui a été altérée ou exagérée en passant de main en main ; mais, quant à la grande réforme elle-même et aux inflexibles moyens d’autorité dont il l’a soutenue, Grégoire à coup sûr n’a rien regretté : son âme n’était pas de trempe à faiblir devant l’adversité. Il avait la vigueur et la foi de Moïse : ce dernier n’a jamais regretté les morte moriatur tant prodigués dans ses lois ; Grégoire n’a pas plus regretté ses excommunications. D’incontestables témoignages[3] prouvent qu’il s’en est expliqué nettement, et tous ses actes de dernière volonté concourent à la confirmation de ses décrets fulminans. Le grand dessein de réformation auquel il avait voué sa vie, et sa ferme austérité, qui ne se démentit pas un seul jour, excluent la supposition d’un scrupule ou d’une faiblesse en face de la mort. Il a quelquefois obéi peut-être à un sentiment tout humain. Le premier des Grégoire, qui a justement obtenu le surnom de Grand, n’avait-il pas failli dans son affaire

  1. L’opuscule très curieux du cardinal Bennon se trouve communément à titre d’annexe, avec la date de 1581, dans la collection des Script, rer. german. d’Urstitius, 2 tomes in-f° ; Francfort 1585. C’est l’édition originale ; elle a passé dans d’autres recueils avec beaucoup d’incorrections, surtout dans l’Apologia pro Henrico IV du savant Goldast, 1611, in-4o. Struve, p. 333, allègue l’autorité confirmative de l’Annalista saxo. C’est une erreur assurée du compilateur.
  2. Voyez le Registrum publié par Sudendorf, I, n° 5, aux pièces justificatives, et Giesebrecht, III, p. 1089.
  3. Voyez les textes indiqués dans Jaffé, Regesta, p. 443.