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savant distingué, cet homme modéré et religieux n’hésite pas à professer ouvertement la théorie des deux morales. Il y met des formes ; son argumentation ne manque pas d’une habileté captieuse. Partant de l’idée juste que l’état est tenu de déployer plus de rigueur que l’individu dans l’accomplissement de sa tâche comme défenseur armé du droit, il en conclut que le grand politique est affranchi des règles de la morale ordinaire, dont on ne saurait lui appliquer les maximes étroites. Le sophisme est d’autant plus dangereux qu’à la notion du droit il substitue celle du bien public, à qui l’état doit tout subordonner. On comprend combien cette notion est plus élastique et plus commode que celle du droit. Les simples mortels, d’après l’auteur, ne peuvent avoir la vue d’ensemble que possède un gouvernement intelligent ; aussi se laissent-ils tromper par leur morale bourgeoise. Ils manquent de respect aux grands fonctionnaires en traitant de vulgaire violence ou d’iniquité ce qui vise au bien public et assure l’intérêt suprême de l’état. M. de Goltz ne fait aucune difficulté pour reconnaître que la trop fameuse maxime des jésuites, la fin justifie les moyens, a du bon : le tout est de la mettre en œuvre à propos et pour le bien public. Sortant des généralités, il applique ses principes aux événemens de la dernière guerre : la barbarie, la dureté inflexible, la conquête, sont parfaitement justifiées à ses yeux par la grandeur du but. Il raisonne ou déraisonne sur ce point comme le dernier des jacobins. Passant au sujet brûlant du moment, il accorde d’avance une indulgence plénière à M. de Bismarck pour toutes ses entreprises contre les mouvemens schismatiques, toujours dangereux, et il approuve sans réserve sa politique implacable contre le catholicisme. On voit tout ce qu’un théologien bien pensant peut tirer d’un sophisme.

Jamais la théorie du salut public ne nous a paru plus détestable que dans cet écrit grave, modéré, et sous la plume discrète de ce professeur cravaté de blanc. J’aime mieux vraiment l’entendre rugir dans un club par des tribuns échauffés que de la voir distiller dans une froide élucubration académique. Au reste la consultation a été trouvée excellente à Berlin, car M. de Goltz a été appelé immédiatement à l’université de Bonn. On dit qu’il est parti à temps de Bâle, et que ses apologies de la force heureuse avaient froissé plus d’une conscience parmi ses auditeurs. Au reste M. de Goltz, en retournant en Prusse, n’a plus à prêcher qu’à des convertis. Il n’a fait que présenter sous une forme grave ce que la presse religieuse du nouvel empire n’a cessé de répéter sur tous les tons à propos des plus grandes violences de la dernière guerre. Sauf un ou deux dissidens luthériens, tous les journaux de ce pays ont applaudi et encouragé toutes, les iniquités. N’avons-nous pas lu dans la