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croyances, maintien des engagemens, qu’est-ce que toutes ces chimères ? Il faut écraser ce qui divise ou menace l’empire évangélique ! Le premier devoir est de garder sa frontière au moyen d’une douane intellectuelle qui ne laisse passer aucune influence ennemie. Voilà l’essentiel ; il n’y a plus qu’à légiférer en conséquence.

Que telles soient les intentions de M. de Bismarck, rien n’est plus facile à comprendre ; ce qui l’est moins, c’est qu’il ne trouve aucune résistance sérieuse dans un pays qui semblait professer le respect de la pensée jusque dans ses plus grands écarts. Qu’on ne s’y trompe pas le droit de la pensée n’a été reconnu, en Allemagne que dans les vagues royaumes de l’air : elle pouvait se donner libre carrière dans la théorie, se risquer aux formules les plus hardies du panthéisme même dans la chaire du professeur, mais l’état se retrouvait armé jusqu’aux dents dès qu’on voulait passer à la pratique. Il ne tolérait en fait d’association ou même de réunions publiques que ce qui lui convenait. Nous ne rabattons rien de notre admiration pour la liberté de l’enseignement telle qu’elle existe dans ces grandes universités allemandes, qui se régissent elles-mêmes et n’accepteraient pas un seul jour le régime bâtard des conseils incompétens imposés du dehors pour régler leurs programmes de cours ; ce que nous voulons dire simplement, c’est que cette liberté d’enseignement ne sort pas du domaine scientifique, et qu’elle ne tire pas à conséquence lorsqu’il s’agit des droits civils ou même de la liberté de conscience en face de l’omnipotence de l’état. À cette heure, M. de Bismarck ne reçoit que des félicitations de tous les partis qui ne tombent pas directement sous le coup de sa politique. Les libres penseurs ne sont pas moins empressés que les évangéliques de lui apporter leurs plates adulations.

Voici deux exemples significatifs de cette universelle prostration. J’emprunte le premier à la haute orthodoxie prussienne et le second au représentant le plus avancé et le plus hardi de la spéculation anti-chrétienne et même anti-religieuse.

Dernièrement a paru à Bâle un discours de rentrée pour la réouverture de l’université de cette ville, qui a fait une grande sensation ; il avait été prononcé par le professeur Henri de Goltz, et il avait pour sujet l’appréciation morale des caractères politiques[1]. L’auteur appartient à l’école évangélique libérale, qui a donné tant de travaux remarquables à la science allemande. Il se rattache à la fraction la plus prudente, la plus orthodoxe ; il est bien un représentant fidèle de ce parti considérable auquel appartient depuis de longues années la haute main dans l’église et les universités. Ce

  1. Uber sittliche Werthschäzung politischer Charactere, Bâle 1873.