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nommer : Ego sum, ego sum. Ce ne fut qu’après l’avoir roué que l’on consentit à le reconnaître, et il en resta malade pour six mois. Est-ce un jeune homme de dix-sept ans et une jeune fille de quinze qui ourdissent de telles aventures ? Ce n’est pas tout ; Henri s’étant remarié vingt-deux ans après, cette facétie fut ravivée par les chroniques des couvens à la gloire de la seconde épouse, mais cette fois avec des additions destinées à la rendre plus piquante et Henri plus haïssable. Honteux d’avoir été joué par sa femme, Henri, après s’être remis des coups par lui reçus, aurait fait assassiner le confident qu’il supposait l’avoir trahi ; quant à la reine, il choisit mieux son temps. Un jour de Pentecôte, l’ayant dépouillée toute nue, il introduisit chez elle des jeunes gens aussi peu vêtus, que l’archevêque de Mayence, aposté par l’empereur, surprit au moment où ils allaient consommer leur crime sur la reine[1]. Gerhoh de Reichersperg enchérit encore sur ces infamies[2], qui n’auraient pas empêché Adélaïde et Henri de se retrouver en bons termes pendant plusieurs années, selon les Annales d’un autre couvent[3], pour se séparer enfin avec éclat en 1091. Berthold de Constance et les moines de Murbach accusent même Henri de lâcheté : primus inter primos terga verlens[4]. Pour être juste, il faut reconnaître que les henriciens ne sont ni moins grossiers, ni plus bienveillans. L’évêque d’Albe Benzo donne à la comtesse Mathilde le sobriquet d’os vulvœ[5]. La vertu même empruntait quelquefois son langage à la grossièreté, témoin le livre de Pierre Damiani, intitulé Gomorrheus, au sujet duquel Baronius raconte de si curieux détails[6].

Nous ne pouvons passer sur ces misères, qui ne respirent plus la grandeur de Grégoire VII, sans en rencontrer d’autres aussi déplorables. Henri se montrant toujours redoutable, et son passage en Italie étant attendu de jour en jour, la cour dévote de Toscane en

  1. Annales Palidenses, dans Pertz, XVI, p. 71. « Rex autem proditum se autumans rémunerat in utroque, scilicet in barone perfidiam, in regina pudicitiam. Nam illum perdi jussit, ad illam autem, semel in die pentecostes denudatam, quamplures juvenes etiam denudatos admisit. Interim Rothardus Mogontinus archiepiscopus præparatus superveniens, stupri nefas intercepit, sed et domno Apostolico ipsam inhumanitatem scripto delegavit. » Cette histoire est répétée par plusieurs autres annalistes, mais avec des variations de date. Aucune des chroniques d’Italie, où Henri a passé tant d’années, n’en fait mention. Un passage de qui de Ferrare, recueilli par Giesebrecht, III, p. 1071, doit contenir la vérité tout entière sur les déportemens prétendus d’Henri IV.
  2. Voyez Pertz, XVII, p. 446, et les inventions accumulées dans la collection d’Alzreiter, p. 490. Selon les Annales de Magdebourg, le plaisir favori d’Henri était de faire enlever des filles nobles de Saxe pour les livrer à la brutalité des manans. Pertz, XVI, p. 174.
  3. Les Annales de Disibodenberg, dans Pertz, XVII, p. 16.
  4. Dans la collection d’Urstitius, p. 358, et Pertz, XVII, p. 156.
  5. Dans Pertz, t. XI, p. 591.
  6. Aannales, sur 1049, p. 22 de l’édit. de Theiner.