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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/182

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mineures, et leur infériorité était hautement constatée par le cérémonial. Elles ne recevaient l’onction du sacre que sur le front et la poitrine avec les saintes huiles seulement, tandis que les rois la recevaient avec l’huile de la sainte ampoule en neuf endroits du corps, ce qui leur conférait tous les dons du Saint-Esprit comme une propriété personnelle qui n’entrait pas dans la communauté ; leur couronne était portée non point par des pairs, mais par des barons ; leur sceptre était plus petit que le sceptre royal, les monnaies ne reproduisaient pas leur effigie, et dans les bas siècles du moyen âge on plaçait, ainsi qu’on l’a vu lors de la violation des tombeaux de Saint-Denis, une quenouille dans leur cercueil comme symbole de leur impuissance et de leur faiblesse. Le modèle des rois, qui fut en même temps le modèle des maris, saint Louis lui-même, eut le plus grand soin d’empêcher sa femme de prendre la moindre part aux affaires ; il lui défendit de nommer aucun magistrat, de donner des ordres aux officiers de justice, d’attacher qui que ce fût à sa maison, même pour y remplir les plus modestes emplois, sans son autorisation expresse ou celle de son parlement[1].

Donner des héritiers aux rois, des rois aux peuples, telle fut à toutes les époques de la monarchie la seule mission des reines. Elles pouvaient, il est vrai, exercer la régence ; mais, lorsqu’elles remplissaient cette importante fonction, ce n’était pas en vertu d’un droit inhérent à leur titre de mère ou d’épouse, les rois étaient libres de la déléguer à qui bon leur semblait, et lors même qu’ils les avaient désignées par leur testament ou par lettres patentes, elles pouvaient encore en être exclues sous les premiers Capétiens par les décisions du baronnage, sous les Valois ou les Bourbons par les intrigues des princes ou les arrêts du parlement. Dans la condition inférieure qui leur était faite, les reines se trouvaient placées entre l’alternative de n’être rien dans l’état, sauf le cas de régence, lorsqu’elles se renfermaient dans le cercle étroit de leurs devoirs, ou de n’être quelque chose qu’en usurpant, comme les favorites, un pouvoir qui ne leur appartenait pas. Les unes, comme Anne de Russie, Adélaïde de Savoie, Bonne de Luxembourg, Claude de France, Marie-Thérèse d’Autriche, ont accepté avec résignation le rôle effacé que leur assignaient les coutumes du royaume ; les autres au contraire ont mis la main sur la couronne, et se sont mêlées aux intrigues de cour, aux cabales des partis. Reléguées dans une ombre discrète ou maîtresses absolues du pays, elles ont laissé un nom consacré par de grandes vertus ou souillé par le vice et le crime ; quelques-unes ont pris part aux luttes les plus ardentes de la politique, tandis que d’autres ont borné leur gloire à fonder des

  1. Isambert, Anciennes lois françaises, t. Ier, p. 295.