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moyens matériels différens des procédés originairement employés. Sous le pinceau d’un artiste français du XVIIe siècle accoutumé au maniement des couleurs à l’huile et à l’énergie dans le ton qui en résulte, une peinture à fresque comme l’Attila a pu devenir en réalité un tableau et perdre ainsi quelque chose de sa sérénité, de sa limpidité caractéristique. Il serait injuste toutefois de réprouver absolument ces modifications involontaires ou calculées, cette sorte de transformation dont la copie de l’Attila est un exemple. Outre que cette ancienne copie, de la main de Bon Boulogne peut-être, a été faite, ainsi que d’autres appartenant à la même époque, pour être copiée à son tour en tapisserie dans les ateliers de la manufacture des Gobelins, l’intensité du coloris qui la distingue n’est après tout ni un mensonge ni une erreur. Elle ne fausse pas le sens du texte original ; elle a pour effet seulement d’en accentuer les termes, et de plus, en renouvelant ainsi les formes de la pensée du maître, le sentiment particulier du traducteur ajoute à l’expression de cette pensée un surcroît d’intérêt et d’influence.

Je m’explique : il y a deux manières pour un copiste d’envisager et d’accomplir sa tâche, deux procédés d’imitation aboutissant, l’un à la stricte effigie, au trompe-l’œil, l’autre à une interprétation plus ou moins personnelle du modèle donné. Sans doute, — est-il besoin de le dire ? — la première condition d’une bonne copie est l’exactitude ; mais il ne suit pas de là que le succès dépende tout entier d’une rigueur mathématique dans la transcription. L’esprit, en se désintéressant un peu trop des opérations de la main, courrait le risque de laisser une correction inerte se substituer à l’expression nécessaire de la vie, une fidélité de surface à la vraisemblance intime. De même donc que, sans rien changer, sans rien ajouter de son chef au morceau écrit par un maître, un musicien peut et doit, dans l’exécution de ce morceau, nous informer jusqu’à un certain point de ce qu’il sent pour son propre compte, de même il appartient à un peintre, tout en faisant sincèrement œuvre de copiste, de mettre quelque chose de lui dans ce travail d’assimilation. Nous ne voudrions pas, tant s’en faut, exagérer en ceci les droits du traducteur et donner raison à Rubens, qui transformait sans façon en échantillons de son style les tableaux peints par Léonard ou les bas-reliefs antiques, et en subordonnait même les lignes, même l’ordonnance aux inspirations de sa fantaisie. Il est évident que de semblables licences équivalent à des trahisons ; mais la loyauté défend-elle qu’un artiste, en retraçant l’œuvre de quelque grand maître, insiste sur ce qui le touche particulièrement, qu’il dégage surtout et mette en relief les points correspondant aux inclinations ou aux habitudes de son intelligence, à ses facultés spéciales, à ses secrètes aspirations ? Une abnégation complète d’ailleurs lui sera d’autant moins possible qu’il aura par lui-même plus de talent. Donnez à plusieurs peintres habiles le même