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tableau à copier : chacun d’eux s’acquittera de sa tâche de manière à fournir un exemplaire conforme à l’original, chaque copie ressemblera au modèle qu’elle devait reproduire, et pourtant ces copies ne se ressembleront pas entre elles, parce que ceux qui les auront faites se seront, dans la mesure de leurs goûts et de leurs aptitudes, émus ou préoccupés différemment des beautés qu’ils avaient devant les yeux. Il en va de cette diversité dans les modes d’interprétation pittoresque comme de la variété des moyens employés au théâtre pour nous rendre la pensée d’un poète. Les vers de Corneille ou de Molière ne changent pas en passant par la bouche des acteurs qui se succèdent dans un même rôle : pourrait-on dire cependant qu’ils ne tirent pas une nouvelle valeur, et parfois presque un nouveau sens, des intentions indiquées par la voix qui les récite ?

Plusieurs des copies exposées aujourd’hui ont cet accent individuel dans la transmission des idées d’autrui, ce caractère d’invention relative ou, si l’on veut, de pénétration. Nous parlions tout à l’heure de la Jurisprudence que M. Baudry a peinte d’après Raphaël, et de la singulière finesse avec laquelle son pinceau a, l’on n’oserait dire enchéri, mais disserté à sa manière sur l’élégance de cette fresque charmante. Dix ou douze grandes toiles dues au même artiste et représentant quelques-unes des compositions ou des figures qui ornent les voûtes de la chapelle Sixtine laissent deviner aussi, bien que sous des formes naturellement plus austères, cette prédilection pour la grâce, cette délicatesse instinctive qui caractérise le talent de M. Baudry. Michel-Ange d’ailleurs, comme il convenait, partage avec Raphaël le privilège d’occuper une place principale dans les salles du nouveau musée. Un fragment considérable du Jugement dernier, — la Barque des damnés, — savamment copié par M. Lenepveu, achève de signaler la puissance de ce prodigieux génie. Encore une fois rien de mieux ; mais n’eût-il pas été juste aussi de faire une part moins étroite au rival de Raphaël et de Michel-Ange, au peintre de cette Cène de Sainte-Marie-des-Grâces, effort suprême peut-être de l’art à l’époque de la renaissance, et en tout cas un des plus beaux ouvrages que la peinture ait jamais produits ? Léonard de Vinci n’est représenté ici que par la petite Madone qui décore le fond d’un corridor dans le couvent de San-Onofrio, à Rome ; en vérité, ce n’est pas assez. D’Andréa del Sarto du moins, nous retrouvons plusieurs œuvres importantes, depuis les fresques du cloître dello Scalzo et la Madonna del sacco, à l’Annunziata, jusqu’à la Déposition de croix du palais Pitti, jusqu’à une copie remarquablement juste du portrait du maître par M. Timbal. Si les quatre fresques de Giotto, scrupuleusement retracées d’ailleurs par M. Hénault, ne sont peut-être pas les plus éloquentes de celles qui ornent l’Oratorio degli Scrovegni à Padoue, elles suffisent toutefois pour faire pressentir le génie aussi