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est tout trouvé, il a été défini dans la commission des trente ; les forces existent, elles sont dans toutes les portions modérées de l’assemblée. Le but est net et clair, il s’agit de donner à la France des garanties d’institutions qu’on n’a pas, de faire cette république avec des conservateurs dont parlait un jour M. Thiers. Qu’on se réunisse donc pour fortifier le régime sous lequel on vit, pour en faire une sauvegarde de tous les intérêts, et qu’on puisse arriver au moment où la France sera délivrée de l’étranger, avec tous les moyens d’affronter sans trop de péril une crise intérieure contre laquelle l’imprévoyance seule pourrait consentir à rester désarmée.

Que se passe-t-il donc en Allemagne ? Est-ce que les apparences de prospérité et la gloire des armes ne serviraient qu’à recouvrir de profondes plaies intérieures, des germes de luttes sociales ? Est-ce que tout ne serait pas pour le mieux dans le plus victorieux des empires ? il y a quelquefois d’étranges symptômes qui montrent que l’Allemagne n’est pas plus que d’autres à l’abri des agitations et des malaises, que tous les succès d’orgueil et tous les avantages matériels qu’on peut tirer de la guerre ne tournent pas nécessairement au profit de la condition économique des populations. Tandis que M. de Bismarck emploie une partie de l’indemnité française à créer des forteresses, ou poursuit obstinément l’application de ce programme de politique religieuse pour lequel il vient encore de prononcer un nouveau discours dans la chambre des seigneurs, les questions sociales ne laissent pas de prendre une importance croissante et se produisent de temps à autre sous des formes assez inquiétantes. Difficultés des logemens à Berlin même, grèves d’ouvriers, crises des salaires ou des subsistances, ce sont là des faits de tous les jours se renouvelant avec une persistance singulière. Ce n’est rien encore lorsque tout se passe comme à Leipzig, où une lutte était engagée depuis quelque temps entre l’association des ouvriers typographes allemands et l’union des maîtres imprimeurs ; on a fini par s’accorder entre patrons et ouvriers pour choisir des délégués chargés de trancher des différends qui interrompent tout travail. Les choses ne se sont pas passées tout à fait ainsi à Francfort, où il y a eu tout récemment une véritable émeute, de vraies scènes de destruction, et cette échauffourée, œuvre de la multitude, est peut-être d’autant plus grave qu’on n’en peut saisir parfaitement ni l’origine immédiate ni la portée réelle. Le fait est qu’il y a peu de jours, à un moment donné, deux ou trois cents hommes réunis par bandes et portant un drapeau rouge se sont jetés sur un certain nombre de brasseries et ont tout brisé, tout saccagé, défonçant les tonneaux de bière, enlevant tout ce qu’ils ont pu trouver, essayant de mettre le feu sur quelques points. La force militaire a été obligée d’intervenir. Les émeutiers ont accablé les soldats de pavés et ont même tiré sur eux. La troupe s’est impatientée et a fait feu à son