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conjurer cette fatalité ? Dans tous les cas, on ne le pouvait qu’en retrouvant la netteté de coup d’œil et de résolution qu’on n’avait pas eue jusque-là en se ramassant pour ainsi dire sur soi-même dans un énergique effort de concentration, en ayant le courage de rompre avec toutes les illusions, de ramener sans perdre un instant les forces de la France sur des lignes encore intactes. Malheureusement ce qui eût été nécessaire était à peu près impossible avec un gouvernement qui fléchissait sous les défaites préparées par son imprévoyance, et qui ne savait qu’ajouter aux alarmes publiques par l’expression effarée de son propre abattement. Le désordre et la confusion étaient partout, — à Metz, où se traînait un empereur discrédité, presque découronné, — aux Tuileries, où s’agitait une régence impuissante, — dans le corps législatif lui-même, qu’on réunissait à la hâte et dont les délibérations fiévreuses ne faisaient que refléter les émotions nationales. Ce qu’il y avait encore de pouvoir était ou paraissait être entre les mains d’un ministère nouveau, presque improvisé, montant sur la brèche le 9 août à la place du frivole cabinet qui avait allumé la guerre et qui disparaissait dans la bourrasque des premiers désastres ; mais ce ministère nouveau, auquel le général de Palikao donnait son nom de soldat, qu’on soutenait par patriotisme comme un pouvoir de défense nationale, — le mot était déjà prononcé, — ce ministère se trouvait lui-même dans la condition la plus fausse. Il avait à se débrouiller au milieu de toutes les incohérences ; il passait sa vie, — une vie de vingt-quatre jours, — à pallier les tergiversations du quartier-général de Metz ou de Châlons, à couvrir une régence représentée par une femme qui avait la séduction du courage et du malheur sans le prestige d’une autorité sérieuse, à faire patienter le corps législatif et l’opinion sans dire toujours la vérité, — et, il faut aussi lui rendre cette justice, ce qui lui restait de temps, il le passait à l’action, à la préparation de nouveaux moyens de guerre. La question militaire était tout en effet pour le moment, et cette question, elle se résumait dans ce qui allait se passer entre Metz et Châlons, dans ce qui allait arriver aussi à Paris, déjà menacé par l’armée du prince royal de Prusse, qui commençait à montrer ses têtes de colonne en Champagne.

La défense de Paris prenait nécessairement désormais le premier rang dans les préoccupations militaires ; elle naissait invinciblement des circonstances, et, chose étrange, par une imprévoyance de plus, on y avait à peine pensé jusque-là On s’était borné par une sorte de précaution à rappeler de la réserve au mois de juillet, et à replacer à la tête du service des fortifications un des plus éminens officiers du génie, le général de Chabaud-Latour,