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au secours du maréchal Bazaine, définitivement enfermé à Metz après les sanglantes batailles du 14, du 16 et du 18 août. Au point de vue de la défense parisienne, un fait est de toute évidence : si à l’heure décisive Paris avait eu cette armée sous ses murs ou dans un rayon assez rapproché, il aurait pu certainement organiser une résistance d’une tout autre nature, échapper à un investissement, rester en communication avec la France, et par cela même les conditions de la guerre se trouvaient singulièrement modifiées. Le comité de défense ne s’y était pas mépris ; depuis le premier instant, il avait senti la nécessité d’une force de secours, et il avait fixé le chiffre de 120,000 hommes. Aussi insistait-il successivement d’abord pour qu’on rappelât l’armée de Châlons sous Paris, puis pour qu’on retînt le 13e corps, bientôt envoyé à Mézières, enfin pour qu’on gardât tout au moins le 14e corps, à peine formé. Un des membres du comité de défense, le général de Chabaud-Latour, l’a dit depuis d’un accent dramatique et émouvant : «… Ce fut notre suprême demande, demande faite les larmes aux yeux et le cœur gonflé ; nous avons fait les instances les plus vives pour que l’armée du maréchal Mac-Mahon fût ramenée sous Paris… Nous avons cru alors, et je le crois encore aujourd’hui, — deux ans après, — que, si l’armée du maréchal était venue sous Paris, avec des vivres pour un an et une armée de secours comme celle-là la résistance eût pu être indéfinie… » M. Thiers lui-même, dès son entrée au comité, fortifiait cette opinion de toute la vivacité pressante de son patriotisme alarmé.

Situation redoutable, pleine de contradictions mortelles ! Le comité de défense répétait sans cesse et sous toutes les formes qu’il fallait une armée de secours, que la résistance de Paris était à ce prix, que sans cela « le siège serait une affreuse famine destinée à finir par une reddition à merci et miséricorde. » Le ministre de la guerre de son côté, tout entier à son projet, brûlant d’aller chercher sur la Meuse le dénoûment de toutes ces affreuses perplexités, le général de Palikao écoutait peu ce qu’on disait au comité de défense, s’impatientait de retrouver les mêmes idées au quartier-général de Châlons, et harcelait le maréchal de Mac-Mahon en lui écrivant : « Si vous abandonnez Bazaine, la révolution est dans Paris… Au nom du conseil des ministres et du conseil privé, je vous demande de porter secours à Bazaine… » La révolution dans Paris, si on n’allait pas au secours de Bazaine, une révolution bien plus assurée encore et de plus la France et Paris absolument découverts devant l’ennemi, si, au lieu de réussir à dégager l’armée de Bazaine, on allait exposer la dernière armée qu’on avait à quelque catastrophe nouvelle, une attente fiévreuse de toutes parts au