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milieu d’une désorganisation croissante, — on en était là même avant le 18 août, et surtout après le 18 août !

Il y avait à ce moment un homme dont le rôle semblait grandir d’heure en heure, à qui se rattachait l’opinion, mobile et désespérée, dans cette crise confuse, c’était le général Trochu. Physionomie originale, un peu compliquée de soldat courageux et instruit, brillant d’imagination, séduisant de parole, mieux fait pour la critique et le raisonnement que pour l’initiative, scrupuleux de conscience et naïvement imbu de lui-même, soigneux de son attitude jusque dans le dévoûment patriotique ! Les circonstances, une réputation d’indépendance et d’esprit, un livre d’une sérieuse et clairvoyante sincérité sur l’Armée française en 1867, une apparence de disgrâce imméritée dans les dernières années de l’empire, tout s’était réuni pour faire au général Trochu une sorte de popularité en lui créant une de ces situations où un chef militaire peut être l’arbitre et la victime des événemens. Oublié ou négligé au début de la guerre, appelé d’abord à un commandement presque dérisoire sur les Pyrénées, puis à la direction supérieure et tout aussi fictive d’une expédition dans la Baltique qui n’était même pas préparée, puis enfin au commandement du 12e corps envoyé à l’armée active, il s’était rendu à Châlons pour en revenir aussitôt, dans la nuit du 17 au 18 août, avec un décret de l’empereur qui l’élevait au poste de gouverneur de Paris chargé de la défense de la capitale. C’était un vrai coup de théâtre improvisé à Châlons sous la pression des circonstances, dans une pensée politique autant que militaire. Aux yeux de ceux qui avaient conseillé la mesure, le nouveau gouverneur était destiné à couvrir l’empereur et l’empire de sa popularité. Cette nomination soudaine, imprévue, était assurément le signe le plus sensible de la marche des choses.

Qu’est-ce qu’était le général Trochu à Paris dans ces conditions ? C’était un homme qui avait la cruelle fortune de devoir un poste exceptionnel à des désastres qu’il avait eu le mérite et le malheur de prévoir, dont il avait essayé de tempérer les premiers effets par des conseils peu écoutés. Au mois de juillet, avant qu’un coup de fusil eût été tiré, il avait déposé ses impressions et ses craintes dans un acte tout intime, dans ce testament tant raillé depuis, où il disait : « Ce qui remplit mon âme de douloureux pressentimens, c’est que l’armée n’est pas aussi prête qu’on le dit à courir les hasards d’une telle entreprise… Je termine en demandant à Dieu d’écarter de mon pays les épreuves qui semblent le menacer. Elles différeront peu quant à leur origine de celles qui accablèrent le premier empire, et dans les deux cas la France et plus encore son gouvernement les auront méritées… » Dès le 10 août, au