Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire face à tant de complications à la fois, on avait un gouvernement sorti d’une explosion populaire, à peine reconnu, assurément peu préparé à une si rude tâche, déjà menacé enfin par des passions et des fanatismes qui, en croyant l’avoir fait, prétendaient le dominer ou le renverser.


II

La révolution du 4 septembre, tout en étant une inévitable fatalité, ne simplifiait donc nullement le problème. Elle compliquait étrangement au contraire cette crise nationale où un gouvernement improvisé par un coup d’état de l’impatience, de l’exaspération publique, se trouvait avoir tout à faire, la France à rallier dans le péril, Paris à maintenir et à conduire dans les épreuves qui l’attendaient, l’ennemi à combattre, l’Europe à rassurer. Les difficultés étaient en effet immenses, de toute nature ; elles naissaient de la situation, de la désorganisation universelle, de l’origine, de la composition même de ce gouvernement nouveau qui restait la dernière ombre de pouvoir. Elles se pressaient de toutes parts, et en définitive elles tournaient invinciblement autour de ce fait aussi redoutable que simple : Paris, à son réveil le 5 septembre, n’avait plus que treize jours de liberté avant un investissement auquel on n’avait pas cru jusque-là Au moment où la révolution s’accomplissait ici, l’armée allemande, victorieuse à Sedan, sûre d’avoir désormais les routes libres devant elle, avait déjà commencé son mouvement sur Paris. On pouvait compter les marches de l’ennemi sans pouvoir s’y opposer.

Le problème était là tout entier. Qu’allait-on faire pour essayer de le résoudre ? Comment allait-on aborder la formidable épreuve ? Tout pouvait dépendre jusqu’à un certain point non d’une surexcitation tumultueuse de patriotisme et d’une infatuation révolutionnaire succédant à l’infatuation impériale, mais de la netteté des desseins et de l’action, de l’esprit de suite, de la prévoyance, de la méthodique énergie qu’on saurait déployer soit pour réorganiser les forces du pays, soit pour combiner et diriger cette défense devant laquelle on ne pouvait reculer. C’était surtout l’œuvre de ce gouvernement nouveau qui venait d’entrer à l’Hôtel de Ville, où M. Jules Favre, M. Ernest Picard, M. Gambetta, M. Jules Simon et quelques autres représentaient la victoire d’une révolution, où le général Trochu, accepté, appelé aussitôt comme président, portait l’autorité de son nom et son prestige de chef militaire[1].

  1. Le gouvernement de la défense nationale, je me borne à le rappeler, se composait des députés de Paris et de ceux qui étaient considérés comme tels quoique ayant opté pour la province après une double élection à Paris et dans les départemens. Ils étaient au nombre de onze, MM. Jules Favre, Gambetta, Jules Simon, Ernest Picard, Jules Ferry, Emmanuel Arago, Eugène Pelletan, Garnier-Pagès, Crémieux, Glais-Bizoin et Rochefort. Le général Trochu était nommé président du gouvernement, il l’avait du reste exigé, avec de pleins pouvoirs militaires. Le ministère se composait ainsi : M. Jules Favre aux affaires étrangères, M. Gambetta à l’intérieur, M. Picard aux finances, M. Crémieux à la justice, M. Jules Simon à l’instruction publique, le général Le Flô à la guerre, M. Dorian aux travaux publics, M. Magnin au commerce. La question ministérielle ne fut pas décidée sans un vif débat. M. Ernest Picard soutenait qu’on devait être avant tout un gouvernement de défense nationale, sans exclusion, sans esprit de parti, et il disputait le ministère de l’intérieur à M. Gambetta, qu’il ne pouvait considérer comme représentant cette politique. Il demanda qu’on votât par bulletin. M. Gambetta eut une voix de majorité. Vaincu, M. Picard semblait vouloir se retirer. On insista pour le retenir en l’envoyant aux finances. Il répondit : « Si c’est une consigne, et si vous me considérez comme un soldat que vous envoyez à un poste, j’obéirai. »