Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mirage des faveurs royales prodiguées à des hommes de bas lieu, désabusée bientôt par l’oppression et par les exactions de toute sorte, — la population des campagnes enfin, ruinée par le fisc et la guerre, toutes les classes de la nation se rencontraient et s’alliaient dans un universel sentiment de délivrance. Le premier fruit de cette communauté d’impressions dans l’esprit public, c’est l’unité dans les élections. Les députés, nobles, roturiers ou prêtres, ne sont pas choisis isolément par le clergé, la noblesse ou le tiers ; dans la plupart des villes, c’est en commun que les trois ordres les élisent. De là entre tous ces députés, dont plus d’un d’ailleurs, dans les lettres ou les sciences, a transmis son nom à la postérité, de là disons-nous, une union singulière et féconde. Nous n’en donnerons pour preuve que leur résolution de fondre en un seul cahier général les cahiers de chacun des trois ordres. Il faut demander à l’ouvrage de M. Picot les émouvans détails de cette grande session. Curieux spectacle que celui de ces princes qui, se flattant de reconquérir par l’influence des états la puissance qu’ils ont perdue sous le précédent règne, caressent, encouragent les députés jusqu’au jour où ils en ont peur, — de cette cour qui, réduite aux abois par l’explosion du sentiment public et par le manque d’argent, espère d’abord s’abriter de la tempête derrière les états-généraux, flatte leurs prétentions, reconnaît leur pouvoir, mais s’effraie bientôt de l’union des députés, de leur clairvoyance, de leur contrôle sévère, de leurs audaces réformatrices, et met en œuvre toutes les ruses, toutes les machinations, pour les diviser, leur arracher des subsides et les renvoyer au plus vite, — de ces députés enfin qui, pour le plus grand nombre, instruits, intelligens, tous animés des meilleures intentions, sur la plupart des points voient les causes du mal, indiquent le remède, s’efforcent de l’appliquer, résistent d’abord à tous les assauts, dédaignent toutes les séductions, entreprennent à la fois de réformer le conseil du roi en y introduisant les délégués de la nation, et d’établir la périodicité des états-généraux, puis se lassent, faiblissent, se laissent vaincre, ne tiennent bon que sur un point, le chiffre de l’impôt, mais, cet impôt voté, souffrent que la cour déclare la session close, et se retirent devant la suppression de leur indemnité[1], laissant inachevée leur œuvre, et sans consécration leurs succès !

Pourtant, nous venons de le dire, ils avaient songé à s’assurer cette prérogative capitale, la périodicité des états. Ils croyaient même sur ce point avoir toute garantie. S’ils avaient voté l’impôt,

  1. A propos de cette indemnité que recevaient les députés aux états-généraux, on peut trouver dans l’ouvrage de M. Rathery de très curieux, détails.