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c’est-à-dire le droit pour les rois et les princes en voyage de prendre gratuitement, de gré ou de force, partout où ils passaient, tout ce qui leur était nécessaire. Ce droit exorbitant, source d’exactions d’autant plus terribles qu’à l’imitation du roi les grands seigneurs prétendaient s’en targuer, et que leurs serviteurs en abusaient pour satisfaire leur propre avidité, — ce droit, sur la plainte des états nous le voyons aboli dès 1355, aboli complètement, sans réserves ; bien plus, nous voyons la résistance par la force formellement permise, ordonnée même à quiconque serait victime du droit de prise, contre quiconque aurait tenté de l’exercer ; pourtant, à huit années de là nous retrouvons à la suite des mêmes plaintes les mêmes défenses. Ce n’est rien encore : à la fin du XVIe siècle, malgré tout, le droit de prise est encore exercé. Il faut qu’une fois de plus les états de 1576 élèvent la voix contre ces excès, il faut qu’une fois de plus l’ordonnance de 1579 les proscrive et les abolisse. Voici encore le privilège de committimus. C’était le droit pour certaines catégories de justiciables, les officiers du roi par exemple, de ne relever que de juridictions spéciales, et entre autres de porter directement leurs causes à la barre du parlement. On comprend aisément de combien d’abus un pareil privilège devait être la source. Eh bien ! six fois dans l’espace de trois siècles, en 1355, en 1413, en 1483, en 1560, en 1588, en 1614, les états-généraux réclament énergiquement qu’il soit aboli, ou tout au moins étroitement restreint. Autant de fois il est fait droit à leur demande, autant de fois il faut recommencer, et autant de fois les états recommencent, jusqu’à ce qu’ils rendent enfin définitif leur triomphe.

Ce sont là deux exemples pris au hasard ; nous en pourrions citer vingt autres. Ainsi s’expliquent dans les cahiers cette uniformité qui frappe à première vue, ces redites, ces reproductions perpétuelles de certaines doléances, et en même temps l’accumulation, les répétitions, les doubles emplois des ordonnances royales. En somme, c’était de cette accumulation que se formait peu à peu, comme par couches successives, l’édifice de notre ancienne organisation. Les ordonnances périssaient rarement tout entières. Ce qu’il y avait de meilleur dans chacune d’elles survivait presque toujours, sinon dans la pratique journalière, au moins dans la tradition générale ; puis, quand survenait un de ces princes qui à des titres divers font époque dans notre histoire, que se passait-il ? Un Charles V, un Louis XII, un Henri IV faisait-il table rase pour tirer de son cerveau tout un ensemble de conceptions nouvelles ? Non, il puisait dans cet amas de prescriptions et d’ordonnances, il les dégageait de leurs scories, les épurait, les retaillait en quelque sorte, et de ces membres épars formait un corps homogène auquel son génie s’employait à assurer la vie et la durée. Étudiez dans les textes