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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/345

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remplir, Ils ont compris qu’il fallait soumettre la puissance royale à un contrôle effectif, permanent. Ils ont eu, en un mot, à des degrés divers l’instinct du gouvernement pondéré. S’ils n’ont pas réussi à en jeter les bases, on ne peut prétexter, — pas plus pour les accuser que pour les défendre, — ni leur ignorance, ni leur indifférence. A quoi donc attribuer leur stérilité politique ?

Suffira-t-il pour l’expliquer d’accuser l’hostilité constante qu’oppose la royauté aux états-généraux ? Sans doute, il y a là un élément dont il faut tenir compte. De 1355 à 1614, les états ne rencontrent dans la royauté que défiance et mauvais vouloir. Les souverains qui se succèdent, — les bons comme les mauvais, — voient toujours dans les réunions des trois ordres une menace et un danger. Quand ce sont des monarques ordinaires, ils appellent les états à leur corps défendant, et s’ils recourent à eux, c’est que, épuisés d’argent, ils sont contraints d’implorer du bon vouloir de la nation ce qu’ils ne peuvent plus lui arracher de force. Lutter alors contre les députés, les diviser, les lasser, les renvoyer au plus vite, ne céder à leurs vœux qu’autant que la nécessité s’en impose, voilà toute la politique royale. Quand ce sont des esprits plus vastes et plus puissans, de ces hommes qui de temps à autre marquent dans notre histoire des époques décisives, ou bien, comme Louis XI, ils ne consultent les trois ordres que sur un point spécial, spéculant sur une réponse prévue d’avance, et se hâtant ensuite de dissoudre ce qu’ils ont rassemblé, ou bien, comme Charles V, Louis XII, Henri IV, ils s’inspirent des cahiers des états, réalisent leurs vœux, mettent en pratique leurs projets de réforme, mais se gardent soigneusement de les convoquer. Tous se souviennent de 1356 et d’Etienne Marcel ; aucun, pas même Henri IV, ne comprend ce qu’en échange d’un peu d’absolutisme lui donnerait de force et de vrai pouvoir le concours permanent de la nation. Une seule fois nous entendons tomber d’une bouche royale ces paroles mémorables : « Je jure de ne lever aucun impôt sans le consentement des états. Il est bien vrai que quelques-uns de mon conseil ne sont pas de cet avis et disent que ce serait me régler sur le duc de Venise et rendre mon état à demi démocratique ; mais je le ferai. Je crois qu’en remettant ce droit aux députés je ferai un coup de maître, car j’ai su que la reine d’Angleterre, quelque méchante qu’elle soit, ne s’entretient que par ce moyen, et que ses sujets, en cas de nécessité, lui baillent plus volontiers qu’ils ne le feraient étant taillés. » Mais ces paroles, c’est un Henri III qui les prononce ; elles ne sont sur ses lèvres qu’un mensonge de plus.

La royauté doit donc avoir sa part de responsabilité ; mais ce n’est qu’une part, et peut-être la plus faible de toutes : l’exemple de l’Angleterre est là pour nous en convaincre. Là aussi, ne