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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/347

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féodalité anglaise est en face de la royauté dans une position d’étroite dépendance. Astreinte aux charges communes, elle se trouve, vis-à-vis d’un pouvoir central omnipotent, dans la même condition que ses propres vassaux. Le roi, c’est le maître commun, partant l’ennemi commun. De là dans la nation entière un instinct puissant de solidarité ; de là dans toutes les classes, dès que se sont effacées les premières rancunes de la conquête, un besoin de rapprochement et d’union, une alliance effective, une féconde communauté d’efforts.

En France, autres sont les origines, autres les conséquences. La royauté chez nous est postérieure à la féodalité. Quand la troisième race, pour fonder sa suprématie, engage la lutte contre les grands feudataires, aussi puissans ou plus puissans qu’elle-même, elle est en présence d’une nation profondément divisée, — divisée dans son territoire, car les possesseurs des grands fiefs, maîtres absolus dans leurs domaines et se renfermant chacun dans sa souveraineté particulière, se jalousent et se combattent, — divisée dans sa constitution sociale, car entre les seigneurs et les vassaux il y a déjà la haine de despote à sujets. Les seigneurs ne voient dans leurs vassaux qu’une matière taillable et corvéable, les vassaux ne voient dans leurs seigneurs que des maîtres avides et détestés. La royauté trouve donc par la force des choses un allié naturel au sein de cette nation qu’elle veut soumettre à son pouvoir : cet allié, c’est le tiers, auquel, par ce seul fait qu’elle combat les seigneurs, elle apparaît comme une libératrice.

Voilà les origines. Les conséquences sont logiques, inévitables. A l’époque où la royauté définitivement constituée fait appel aux états-généraux, les trois ordres, au lieu de se serrer, de se confondre dans la seule défense de l’intérêt général, s’isolent dans leurs intérêts particuliers. La forme même des états, leur organisation intérieure trahirait à elle seule ces discordes sociales. Les députés ne sont point les délégués de la nation ; ils sont avant tout les représentans du clergé, de la noblesse ou du tiers. Chaque ordre forme comme une assemblée séparée, dont le premier soin trop souvent est de récriminer contre les autres ordres. De là dans les cahiers des divergences, des contradictions, qui fournissent au monarque des prétextes spécieux ; de là surtout, pour chacun des ordres, la crainte perpétuelle de se voir opprimé, écrasé par la coalition des deux autres. Une seule fois la réaction violente, universelle, contre le despotisme de Louis XI provoque entre les ordres un rapprochement. Ce n’est là qu’un éclair, une lueur d’espoir ; aussi vite qu’il s’est comblé, l’abîme se rouvre entre le tiers et les privilégiés, et de session en session il se creuse davantage.

A la royauté seule profitent ces divisions. Si la noblesse,