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regardent, à tort ou à raison, comme les ennemis de l’ordre social. Ils n’ont rien de pareil à craindre aujourd’hui que les radicaux font le siège du gouvernement, et qu’ils ne rougissent pas de former avec les irréconciliables de la droite une sorte de coalition tacite contre la république conservatrice. Les conservateurs sans parti-pris seraient désormais inexcusables de ne pas se rallier avec franchise à la république. Entre les deux oppositions de droite et de gauche, ils devraient comprendre qu’ils tiennent le sort du pays dans leurs mains, et qu’ils seraient bien coupables, s’ils persistaient à laisser l’avenir en suspens. Le gouvernement, cela est assez visible, n’a rien négligé pour regagner leur alliance : il a tout fait pour désarmer leurs griefs supposés ou sincères ; il en a même trop fait, si, comme on peut le craindre, ces prétendus conservateurs ne songent qu’à profiter de ses concessions pour l’affaiblir et pour le renverser.

S’il y avait quelque logique dans les sentimens et dans les actes de ce parti, il aurait dû applaudir, au lieu de s’insurger, le jour où l’auteur du message lui a pour ainsi dire mis dans les mains le pouvoir constituant. En faisant cette loyale tentative, dont il a été si mal récompensé depuis lors, le gouvernement livrait sa propre existence à la controverse, et il assurait en revanche à l’assemblée une durée suffisante pour achever le grand œuvre qu’il la conviait à entreprendre. En faisant appel au bon sens de l’assemblée, en se portant pour ainsi dire au-devant d’elle avec des propositions de paix, quand il aurait pu se contenter de rester sur la défensive et de se couvrir de la constitution Rivet jusqu’à la complète libération du territoire, il donnait certainement un gage de ses intentions conciliantes. Combien n’eût-il pas été plus fort, plus inattaquable aux factions et aux intrigues parlementaires, s’il s’était simplement appliqué à entretenir les divisions de l’assemblée et à l’empêcher de constituer la monarchie, sans essayer de lui faire adopter la république ! Le président de la république n’avait aucune peine à se maintenir au milieu de ces agitations sans profondeur, et lorsque sonnait l’heure de la libération du territoire, rien ne pouvait l’empêcher d’accomplir une autre délivrance ; il n’avait plus qu’un geste à faire pour renvoyer l’assemblée. Or à cette politique égoïste et méfiante, dont le succès était infaillible au point de vue de son autorité personnelle, il en a préféré une autre plus confiante, plus généreuse. Il a voulu associer l’assemblée elle-même à son œuvre, la sauver malgré elle, et sauver surtout avec elle les principes conservateurs qu’elle représente si mal. Il s’est peut-être trompé ; dans tous les cas, ce n’est pas à l’assemblée de s’en plaindre : ce n’est pas à elle d’en abuser pour faire échec au gouvernement.