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durer en faisant modestement tout le bien qu’ils peuvent. M. Thiers disait vrai pour lui-même et pour ceux qui le soutiennent ; mais il n’en est pas de même pour ceux qui l’ont jusqu’à présent combattu. Leur intérêt évident, s’ils se rallient à la république, est de s’y rallier avec franchise et avec éclat ; c’est à eux, et à eux seuls, qu’il appartient de la proclamer quand il le faudra. Le gouvernement n’en a pas besoin, mais le parti conservateur ne doit plus hésiter à le faire, et après tant de fautes commises il n’a pas d’autre moyen de les réparer. Le gouvernement lui-même lui en donnera sans doute le conseil, quand l’heure sera venue d’en finir avec les équivoques, et de dire à haute voix ce que veut la France.

Si les conservateurs veulent regagner leur influence et résister avec succès au radicalisme, il faut qu’ils s’appliquent à répudier la politique annoncée naguère au nom du gouvernement de combat, Qu’ils le sachent bien, les violences et les défis ne servent à personne, surtout à ceux qui ont toujours les mots de modération et de conservation dans la bouche. Les progrès de l’idée républicaine tiennent principalement à ce que les républicains ont changé de rôles avec les conservateurs, à ce qu’on les a vus pendant deux ans sacrifier leurs préférences et leurs passions de parti à la paix publique en soutenant contre les conservateurs un gouvernement qui n’avait rien de radical. Cette conduite habile et patriotique a été la meilleure des propagandes qu’ils pussent faire en faveur des doctrines républicaines. Pourquoi les conservateurs ne l’ont-ils pas imitée ? Pourquoi se compromettent-ils à plaisir en faisant la besogne des révolutionnaires ? S’ils se sentent affaiblis, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes ! S’ils veulent que le gouvernement apprenne à s’appuyer uniquement sur eux, qu’ils cessent de l’ébranler tous les jours ; s’ils veulent que l’opinion publique rende sa confiance aux idées qu’ils représentent, qu’ils fassent au moins quelque chose pour la rassurer sur leurs desseins !

Ce qui nuit le plus aux conservateurs, ce ne sont pas les violences du parti radical, les folies qu’il peut commettre ou les scandales qu’il peut donner ; au contraire les excès du parti radical ont toujours profité à la réaction. Ce qui compromet les conservateurs, ce sont leurs propres fautes. On entend dire de tous les côtés : « Le parti conservateur se décourage, le parti conservateur se meurt. » Cela n’est pas étonnant, quand ses chefs semblent prendre à tâche d’inquiéter et de troubler le pays. « L’avenir, a dit un jour M. Thiers, appartient au plus sage. » Que les conservateurs et les radicaux le comprennent : le moment est venu de savoir à qui doit s’appliquer cette prophétie. Le moment est venu de savoir à qui, des conservateurs ou des radicaux, il convient d’adresser ces mots du poète latin : quos vult perdere Jupiter dementat.