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esprit politique. Qu’ils nous permettent cependant de le leur dire, il se mêle cette fois à leur maladresse quelque chose de particulièrement odieux. Les radicaux se seraient brouillés avec le gouvernement il y a deux ans, lorsqu’ils étaient faibles et que la république ne pouvait se passer de l’appui de M. Thiers, que personne n’aurait eu le droit de s’en plaindre, excepté la république elle-même. Une telle conduite aurait été simplement inintelligente, impolitique, digne en un mot de tous les antécédens et de toutes les traditions du parti radical ; elle n’aurait pas été déloyale, et l’on n’aurait pu rien y trouver à redire, sinon l’excès même de sa franchise. Aujourd’hui elle n’est pas moins absurde, mais elle est en même temps perfide et presque lâche. C’est après s’être abrités pendant deux ans sous le couvert du nom de M. Thiers et de sa république conservatrice, c’est quand le gouvernement, soumis depuis deux ans par la droite à une sorte de siège régulier, fatigué de ses victoires mêmes, affaibli par les concessions au prix desquelles on lui avait promis une paix mensongère, se prépare à une lutte suprême contre d’implacables ennemis, et qu’il a besoin que tous ses partisans, sans en excepter un seul, se serrent autour de lui pour le fortifier et pour le soutenir, — c’est alors que les radicaux trouvent l’occasion bonne pour faire défection, et se préparent à donner le coup de pied de l’âne à l’homme qui a sauvé la république. Nous savons que cette politique n’est pas de leur invention, et que les conservateurs eux-mêmes n’agissent jamais autrement avec les républicains au lendemain des révolutions : ils les ménagent et les flattent tant qu’ils en ont peur, puis ils les frappent dès qu’ils les croient sans défense. Les républicains, jusqu’à présent, se vantaient d’être plus généreux et plus braves ; les radicaux tiennent à montrer qu’on les avait calomniés. Les jacobins se piquent de ne pas laisser en arrière les jésuites. Ils se sont mis aux pieds de M. Thiers tant qu’ils ont cru avoir besoin de sa protection ; ils se vengent aujourd’hui de cette longue contrainte, et-ils n’ont plus le moindre scrupule à attaquer un gouvernement dont ils ne croient plus l’alliance nécessaire.

Nous admettons volontiers que la reconnaissance n’est point une vertu politique, et que les services éminens que ce gouvernement a rendus à la France doivent être mis entièrement hors de cause. Libre aux radicaux de les oublier, s’ils le veulent, et de se placer exclusivement au point de vue de l’intérêt de parti. À ce point de vue en effet, M. Thiers ne mérite d’eux aucune gratitude ; il ne les a jamais flattés, il ne les a jamais traités qu’avec impartialité et avec justice ; il les a même plus d’une fois sévèrement avertis, sans malveillance comme sans amour, ainsi que c’était son devoir de chef d’état équitable. Puisqu’ils sont des hommes de parti, on ne peut