Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oublier qu’on peut diriger le même genre d’objection contre toutes les caractéristiques auxquelles peuvent donner lieu les nationalités ou les races. Quand on dit que les anciens Grecs furent un peuple philosophe et l’Italie du XVIe siècle une nation d’artistes, méconnaît-on en parlant ainsi l’innombrable quantité de Grecs qui vécurent, complètement étrangers à la philosophie, et d’Italiens qui n’eurent absolument, rien de l’artiste, ni dans leurs goûts ni dans leurs idées ? Nullement ; mais, par comparaison avec d’autres peuples et d’autres races, on constate que la philosophie dans la Grèce antique, l’art dans l’Italie de la renaissance, trouvèrent des représentans et des sympathies à un degré inconnu partout ailleurs pendant la même période. Si Socrate meurt à Athènes martyr de la philosophie, cela n’empêche pas qu’Athènes était alors la seule ville du monde où un Socrate pouvait vivre, enseigner, être ce qu’il a été, et les hostilités qu’il souleva furent en raison directe de l’influence qu’il exerça et ne put exercer que là.

Ce qui résulte des faits de l’histoire, c’est que, sans abandonner l’idée générale d’un rapport, étroit entre le sémitisme et le monothéisme populaire, il importe d’étudier de près les formes concrètes des religions sémitiques pour se faire une idée exacte de leur relation réelle ; avec le monothéisme qui en est sorti. Les généralités séduisent en histoire, mais souvent elles égarent quand elles ne sont pas soutenues immédiatement par des réalités faciles à vérifier. C’est un des chapitres les moins connus de cette division intéressante de l’histoire des religions que nous allons tâcher d’exposer en profitant des laborieuses recherches de M. Tiele. Il s’agit d’un peuple très proche voisin de l’ancien Israël, parlant presque la même langue, et dont l’histoire religieuse s’est mêlée plus d’une fois à l’histoire des Juifs. Depuis que Movers a porté le premier la lumière sur les mœurs et la religion des Phéniciens, on a fait plus d’une découverte sur ce champ de culture ardue, et surtout on a pu mieux saisir que le savant allemand ne pouvait le faire les analogies que cette religion spéciale, présente avec ses voisines. Plus d’un problème reste encore privé de solution ; mais on est sur la bonne voie, et il n’est pas probable que désormais rien d’essentiel soit à changer dans les résultats que l’on peut, dès maintenant présenter comme solides.


I

Tout le monde a entendu parler des Phéniciens, de Tyr et de Sidon, tout le monde sait en gros que les Phéniciens furent de hardis navigateurs et d’habiles commerçans ; mais on n’apprécie pas