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esprits. Ne voyons-nous pas les anciens partis se diversifier à l’infini, les liens sociaux se relâcher, les relations avec les autres états se tendre, la lutte entre l’église et l’état s’envenimer ; enfin n’assistons-nous pas à la ruine du droit public en Allemagne, aussi bien qu’à celle du droit des peuples en Europe ? Voilà les belles conséquences de notre construction grandiose ; plus haut elle s’élèvera, plus profonde sera sa ruine. Une politique qui a pour devise le sang et le fer verra bientôt s’écrouler en poussière l’édifice qu’elle a bâti malgré la splendeur des apparences. En définitive, elle se réduit au culte de la force, et rien n’indique mieux la répudiation du christianisme, sans lequel nulle société ne peut vivre. »

Nous avons laissé parler M. Franz. Il est vraiment remonté au principe de la politique religieuse de la nouvelle Allemagne. Ce n’est pas simplement la religion d’état comme autrefois ; c’est le culte de l’état, tel qu’Hegel l’avait formulé, l’adoration de la force nationale, la seule religion que la Rome antique ait connue. Voilà d’après M. Franz, le dernier mot de l’empire évangélique ; on comprend maintenant ce que l’on doit penser de sa prétention à être le représentant ou plutôt le soldat du protestantisme. Il recule bien au-delà du catholicisme lui-même, il se rattache à la vraie tradition païenne qui sacrifiait tout à la chose publique, à commencer par la conscience. Le Dieu allemand rappelle à s’y méprendre l’ancienne divinité locale ou nationale au nom de laquelle la guerre était déclarée aux peuplades voisines et à leurs dieux. Nous n’exagérons rien ; nous savons fort bien que la vie religieuse des individus ne se laisse pas absorber dans la politique, et qu’il y a des trésors de piété sincère et élevée dans les églises allemandes. Nous avons connu une autre Allemagne, éprise de l’idéal, vouant à la science libre un généreux enthousiasme, l’honorant par les plus magnifiques travaux. Elle sommeille aujourd’hui ; elle se réveillera, n’en doutons pas, et échappera aux liens dont on l’a chargée.

Une double conclusion résulte pour nous du tableau que nous avons tracé de la politique religieuse de la Prusse. Tout d’abord, il est certain qu’en s’engageant dans une voie semblable le protestantisme se perd. Il n’a d’autre raison d’être que la liberté de conscience. S’il veut recourir à l’autorité en religion, il ne réussira jamais aussi bien que l’église de l’infaillibilité ; il ne pourra aller jusqu’aux dernières conséquences du système, il devra s’arrêter à mi-chemin, et sera tout ensemble odieux et impuissant. A lui de voir si ce succès dégradant lui convient dans le pays qui fut son glorieux berceau ! Il est une conséquence plus grave encore de cette politique, qui par malheur ne s’arrête pas aux frontières de l’Allemagne, et gagne de proche en proche comme une contagion