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pensait vers les dernières années de la république. Nous replacerons ainsi l’œuvre de Virgile à son temps, et nous serons plus sûrs de le comprendre.


I

La croyance que la vie persiste après la mort n’est pas une de celles qui naissent tard chez un peuple et qui sont le fruit de l’étude et de la réflexion. Les anciens avaient remarqué qu’au contraire elle semblait plus profondément enracinée chez certaines nations barbares. Les Gaulois par exemple n’hésitaient pas à prêter de l’argent à la seule condition qu’on le leur rendrait dans l’autre vie, tant ils étaient sûrs de s’y retrouver ! Les Romains non plus n’avaient pas attendu de connaître Pythagore et Platon pour être assurés que l’homme ne meurt pas tout entier. Cicéron nous dit qu’aussi haut qu’on remonte dans l’histoire de Rome on trouve des traces de cette croyance, qu’elle existait déjà à l’époque où l’on s’avisa de faire les plus anciens règlemens civils et religieux, et qu’on ne comprendrait pas sans elle les cérémonies des funérailles et les règlemens des pontifes au sujet des tombeaux. L’origine en est la même dans tous les pays : elle naît partout de la répugnance que cause à l’homme l’idée de l’anéantissement absolu. Ce n’est donc d’abord qu’un instinct, mais un instinct invincible que d’autres raisons ne tardent pas à fortifier. Selon Cicéron, ce qui la répand surtout et l’accrédite, ce sont les apparitions nocturnes et la foi que leur accordent des âmes naïves qui ne savent pas encore remonter de l’effet à la cause. Quand on croyait voir la nuit les parens et les amis qu’on avait perdus, on ne pouvait pas douter qu’ils ne fussent vivans. Achille, après avoir vengé Patrocle, s’endort près de la mer retentissante, plein de douleur et de regrets ; pendant son sommeil, il voit son ami, qui vient lui réclamer un tombeau. « Dieux immortels ! s’écrie-t-il dès qu’il se réveille, il subsiste donc jusque dans les demeures d’Hadès quelque reste de vie ! » Cette réflexion devait venir à l’esprit de tous les gens qui avaient cru voir un mort dans leurs rêves, et ce qui avait été à l’origine une des causes de la croyance à l’immortalité de l’âme en resta jusqu’à la fin pour beaucoup de personnes la preuve la plus sûre : elle était même devenue si populaire qu’un père de l’église, saint Justin, n’a pas hésité à s’en servir. Toute l’antiquité a cru fermement à ces apparitions. Beaucoup en avaient grand’peur ; quelques-uns les souhaitaient comme un moyen de se rapprocher un moment des êtres chéris qu’on avait perdus. Tantôt on leur demandait de vouloir bien venir visiter les vivans qu’ils avaient aimés : « si les larmes,